Pin’s collector

par Frédéric Benhaim

Depuis les années 80, le pin’s n’a pas disparu. C’est comme un peuple qui après une glorieuse apogée, aurait continué à exister, subrepticement. Manifestement, la veste à pin’s de 1988 n’est plus. Mais les collectionneurs sont toujours là, et les jeunes savent l’employer  à mesure, avec le discernement du vrai chic. Un peu, pas trop. Une touche, une couleur, un slogan : c’est comme une broche, et sur un t-shirt ou un pull noir qui tombe de votre épaule, le pin’s saisit le regard.

L’artiste japonaise, Onishiro Yahayi, connue à New York et dans les bons milieux de Paris, dessine des pin’s de collection à valeur estimable. Mais le pin’s est éminemment démocratique. Pour une ou deux pièces, vous voici en mode….en mode. En mode séduction, chic, glam, street glam pour être exact. Qu’y montrer ? Que trouve-t-on, dans ce magasin, dans les paniers, les pots, sur les étagères ? Dans les vitrines pour les pins de collection  ?

Justement de tout. Du Renoir, des impressionnistes. Du Van Gogh. Du pin’s de collection, du pin’s d’art, du pin’s souvenir.

Du pin’s politique : Chirac, Nixon, Trudeau, Kohl.  Et aussi anti-nucléaire ; pro-vie ; et catho, slogans en tout genre, et anti-slogans, slogans officiels, slogans détournés, slogans sérieux, slogans satiriques.

Du pin’s d’affaire : I love finance, I love CPM, I love PNL, I love Bucket Consulting.

Du pin’s local : (…) New York, Bruges, Bratislava.

Et du personnage : Batman, Superman, Mickey Mouse, Astérix, Obélix, Lucky Luke, Tintin. Milou. Positions de combat, portrait comme portrait de ceux qu’on chérit (tiens voilà une idée, a-t-on remarqué plus d’une fois au magasin : des pin’s personnalisé avec photo d’être cher !).

Du pin’s en tout genre. Du neuf, du vieux. Venez vendre les vôtres.

Qui vient ? Tout le monde. Il y a heureusement une base de clients fidèles qui revient toujours. Puis, il y a les collectionneurs par curiosité, pour qui quelques uns suffisent. Les passants qui ont du temps à perdre, et qui s’en parlent au dîner (tu sais ce qu’il y a, dans la rue untel, un magasin de pin’s, etc.). Les touristes (artère moyen passante dans un quartier touristique à pavés et petites rues, cafés, galeries, tags d’intérêt certain). Les ados. Les étudiantes en art, toutes colorées, qui aiment les 80, parce qu’elles sont un prétexte à une fantaisie chromatique qu’avant cela le Moyen Age seul autorisa.

La patronne n’en met pas sur elle. Marrant, ça. Elle s’habille nature : une longue robe noire en un seul tenant, avec une chevelure blonde qui vieillit un peu, qu’elle brosse longuement le matin. La moquette est usée et tâchée de noir (café), et tant pis. Certains après-midi lorsque le soleil brille, la lumière envahit l’espace et fait tout scintiller. Madame a l’habitude : elle a des lunettes de soleil, sur une branche desquelles elle a fixé, seul endroit, un pin’s très rare, bleu, et rouge, comme un diamant, comme un rubis.

Dehors, ces jours-là, les passants sont éblouis, mais aussi les automobilistes. On a manqué l’accident, le piéton écrasé, à une ou deux reprises, et du coup, la commerçante a envisagé le store, mais elle y a renoncé, car c’est trop cher, et trop compliqué. Après tout, le pin’s se vend à des prix bas, en général, sauf les pin’s de collection, qu’on ne vend pas tous les jours : les fins de mois peuvent être difficiles. Difficile de vivre sa passion, d’être indépendant. Alors, non, pas de store, et pour le reste, advienne que pourra.

Bruxelles-Amsterdam, le 4 août 2012.