La coutellerie

par Frédéric Benhaim

La solution pour offrir n’est pas toujours du côté du sucré ou de la cravate. Ici, on vend des objets pointus et saillants ; ceux pour lesquels la tradition oblige à rendre une pièce de monnaie, ne serait-ce qu’un centime. A premier regard, ce ne sont que des Laguiole et des Opinel, mais quand on s’y penche de plus près, on s’aperçoit que ce n’est pas que le local du boucher ou du baroudeur. Tout est en vitrine, ou presque. Pas de couteau en céramique ici ; attention, d’ailleurs, cela peut être dangereux, l’air de rien, ces machins.

Ici on vend pour les belles tables et les belles aventures ; le mondain le plus prestigieux côtoie les plus folles virées dans le désert—c’est comme si c’était d’un seul tenant—. Commençons par les arts de la table, comme on dit. Le plus impressionnant, ce sont les manches en ivoire de mammouth. De mammouth ? Oui, car la fonte du permafrost en Sibérie nous livre des mammouth entiers, et c’est pain bénit pour le luxe. Pas la peine d’abattre des éléphants, le climat nous livre leurs parents des neiges. Remarquez aussi les manches en bois d’olivier de tant de teintes différentes ; en définitive, les plus belles pièces viennent des parties les moins soupçonnées de la nature et des vergers. On n’y pense pas, aux couteaux, mais qu’ils sont beaux, alignés les uns à côté des autres ! Ca doit durer toute la vie, et ça va en machine, enfin parfois. Vaut mieux éviter avec les manches en bois et en corne. Et si on arrêtait la corne ? se demande un visiteur. Ils sont déjà morts, de toute façon. — Ce n’est pas une raison pour en encourager l’élevage, répond le végétarien.

Le débat continue. Du côté de l’aventure, un grand raffinement se dégage des couteaux de poche, des couteaux pliants, des aventuriers et des randonneurs. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir autant de goût en mangeant son casse-croûte en forêt. Vous savez, certains marcheurs mettent un point d’honneur à n’employer que des belles choses. Peu mais plus beau, en quelque sorte.

Heureusement qu’on est en rez-de-chaussée à même la rue, dans un coin sombre ; si le soleil faisait face à la vitrine, on n’y verrait plus rien, certains soirs.

Quelques nouveaux modèles avec des couleurs fluos. Quelques modèles qui ressemblent à des jouets pour enfants, avec des couleurs de bonbon, de Smarties. Est-ce bien raisonnable ? C’est une autre marque,  c’est nouveau. Mais cela ressemble à un jouet, cela n’est-il pas dangereux pour les enfants ?

Pas de réponse…

Paris, le 1er février 2015.

A Sebastião Salgado, pour son travail sur les damnés de l’extraction.