Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Mois : mai, 2013

L’animalerie

Dans les vitrines, les chiots « tout mignons » se battent dans la paille en se mordillant l’oreille. Les passants émerveillés s’arrêtent pour considérér un agrandissement de leur foyer. Les parents peu désireux, qui connaissent le quartier, avec les enfants, préfèrent éviter la rue. Les adolescents en mal d’amour s’attardent et entrent pour caresser un chien. Au moins les chiens offrent de l’affection sans réserve. Au-dessus de leur tête, des perruches, des canaris. Dans l’autre vitrine, un aquarium, un petit nid à chatons, et imprudemment situés, torture mentale continue pour les trois petits chats, un bac de hamsters bien gras qui courent et courent dans la roue. L’arche de Noë en quelques mètres carrés de vitrine.

Dedans, le concert d’animaux captifs vous fait vivre la jungle en boîte. L’odeur : fauve ; pot-pourri de vivant, mélange de ferme, Eau de bestiole. Vous avez beau nettoyer, ça ne part pas ; il faut « limite » changer de vêtements. C’est ici que commencent de longs compagnonnages. De petits Chihuahua, de petits bichons, des chatons tigrés, des poissons toutes couleurs, vous regardent de leur cage ou de leur boîte avec des yeux qui vous implorent. Prends-moi ! Aime-moi !

Cinq iguanes et deux furets, plus indifférents, semblent attendre leur nourriture. Les furets fouettent pire que les putois (on y viendra sûrement). Ils regardent d’un air menaçant les chiots qu’on ouvre pour que vous puissiez choisir : lequel sauverez-vous ?

Il faudra l’occuper ! Des accessoires pour toute bête, qui se mâchent, qui se plongent, qui se triturent, qui se jettent, et qui se cherchent. De faux canards. De faux squelettes de poisson (pour le chat gourmand, c’est un peu vicieux, non ?). Des jouets qui couinent. Des oiseaux impatients qui battent leurs ailes détournent votre attention ; mais qu’acheter pour le poisson rouge ? La gamine s’en occupera-t-elle vraiment ? Des générations de parents innocents ont succombé avant vous.

Nous autres citadins, qui avons quitté les fermespourquoi y revenir ? Un chien, vraiment, dans un trois-pièces ? Les poils. Les allergies. Les pipi de chiot. Les réveils à bave le dimanche matin. Et ne parlons même pas de ces tarés qui s’achètent un husky ! Certains chiens, d’ailleurs, ne sont pas des chiens, ce sont des chevaux !

Mais ce disant, on voit la jolie frimousse du Chihuahua, la jolie queue du Sheltie, l’aboiement répété, parmi tant d’autres, du petit Labrador qui s’isole comme une fille au bal dont vous tombez amoureux…ce Labrador qui vous aime avant même de vous connaître, et dans ce vacarme infernal, ce tintamarre de bruits de bêtes et de Nature, de bulles d’aquarium, et de cris d’oiseaux, de gamins qui pleurent parce qu’ils en veulent deux, de becs qui cognent contre des troncs artificiels, de caisse… ; on craque.

A Duc, et à tous les Shelties qui sont à la masse.

A Florence Taillasson, qui n’a pas d’animal, mais pour toute son aide.

Cliquer ici pour en savoir plus sur l’adaptation théâtrale de ces textes, qui aura lieu à Paris dimanche 16 juin  ! 

Le glacier

Sur une rue passante, le porche vous donne accès au local, un simple carré dont la moitié est ouverte et l’autre moitié formée de la vitrine et du comptoir, et de l’Arrière, ce mystérieux domaine qui comporte l’évier, une porte, et mille autres choses insoupçonnées. Dans la vitrine réfrigérée, illuminée par un néon de rebord mystérieux à l’avant du verre, des couleurs de toutes sortes, vives et diverses comme une palette. Un arrangement de bonbons à la gomme. Des rouges (fraises, framboises,…), des jaunes (mangue, oeuf), des blancs (vanille, citron), du brun (chocolat, café), des verts (menthe, pistache).

Tout est là, et pour faire original, vous trouverez à la fois des parfums comme on n’en attendrait pas (le chocolat au basilic, la glace à l’orgeat), et des parfums comme on n’en trouve plus (la vraie vanille, la vraie fraise, le vrai rhum-raisin). Les cornets sont faits maison, les coupes sont jolies : en carton jaune fleuri, comme une vieille tapisserie, et on vous sert le tout avec une petite cuillère en plastique vif de couleur. Il n’y a pas de rationalité économique, pour le consommateur, dans la boule de glace. Certains diront 3 euros, d’autres 4 ; d’autres 4,50 dans les chaînes ou autres. Au fond ce n’est ni le froid, ni la crème, ni les fruits et les parfums que vous achetez, mais le réconfort, le vous-le-valez-bien, la satisfaction de l’enfant et le calme des neveux. C’est, comme on dirait, une « expérience ».

Aujourd’hui, on fait bien de dire glace et non crème glacée, car le yaourt, le soja, et d’autres encore ont déboulé ; que le sorbet se porte mieux que jamais ; et que les aspirants au régime veulent pouvoir se contredire sereinement.

Le personnel change souvent. Il s’agit de jeunes qui aident le patron que l’on voit certains jours. En Amérique, où il a vécu un temps, essayant d’y apprendre le métier, quelque chose, de s’installer (on n’a jamais trop su), on mange de la glace été comme hiver. Ici, en hiver, il faut se résoudre à faire des crêpes.

Paris, le 20 mai 2013.

La poissonnerie

Sur leur lit de glace, les poissons vous regardent, passifs, mais vigilants dans leur étourdissement. Je me souviens, disent-ils, vengeurs, au cas où ils se réincarneraient en requin, et qu’un jour vous faites un peu trop le fanfaron au large d’une plage.

C’est l’odeur qui trahit la mort ; l’odeur de la mer, dit-on, l’odeur aussi de sa moisson merveilleuse et funeste. Tous ces poissons sont étalés devant vous ; il y en a de toutes les mers, océans, et d’eau douce, il y en a de toutes les sortes. L’abondance de la création aquatique vous est offerte. Un véritable aquarium du palais. Ici, vous n’êtes plus au stade final de la chaîne de la pêche. Vous êtes au stade premier de la gastronomie.

Il est temps, justement, de penser à la cuisson : les poissonniers y sont souvent disserts ; ici, on vous recommande même les années pour le blanc qui se devra de figurer aux côtés de votre espadon. Songez-y, c’est le moment à n’en point douter. Il faut tenter aussi les épices, dont on vend quelques spécimens, pardon, pots importants.

La poissonnerie tient à peu de choses. Quelques mètres carrés donnant sur rue, presque toujours grande ouverte, sans vitrine. Ca favorise le passage et la curiosité, c’est bon pour le commerce. Quelque chose de ce métier n’a pas changé avec le temps. On continue à couper les têtes, à trancher, à découper des filets. Les clients supportent de moins en moins les arêtes, d’ailleurs. Au mur, des cartes des océans et des images culinaires, car les deux sont liés par la généalogie de la fin et de la chasse. Le père se souvient de la morue de Terre-Neuve, ça c’est fini. Au sol des carrelages beiges que l’on lave le soir au jet d’eau (ça part dans la rue).

Le poissonnier porte un tablier blanc en plastique que le travail tâche de rouge et de brun. Il y a des gants en latex, mais il n’hésite pas à empoigner les poissons. Les clients, poussés par la vague de l’alimentation saine, le déclin de la viande et la mode, se pressent. Le thon, par exemple, se mange désormais mi-cuit. Les « Saint Jacques », en tartare. Les sardines, à l’huile d’olive et aux tomates, pincée de sel et quelques herbes (de Provence). Le rouget, le saumon de l’Atlantique nord, les rascasses, sans oublier les éternelles huîtres et crevettes (grises, roses, pauvres mangroves…). Et les truites, ah, les truites, souvent en promotion…

Antibes, le  11 mai 2013.

A Jean-Noël Falcou et Hélène Romanini, pour le romarin, et le reste.

A Charlotte Richoux-Benhaim, qui n’aime pas le poisson.

A Linda Blanchet, pour la glace sur le port et pour tout.

Notez bien ! Les commerces en spectacle, le 16 juin à Paris

Aux articles de pêche

La vitrine regorge de poissons. Plastifiés. De cannes, de fils, de bobines. D’images, et d’affiches : Championnat du Berry, 96. Finale carpe et truite, 2008, Cahors. Etc. Derrière la porte de verre (horloge de papier pour les heures d’ouverture, CB, Visa, Mastercard, CB, pas de chèque, pas de tickets restau) on pénètre dans une forêt de bâtons en aluminium, en titane, colorés d’orange et de rouge vif, une forêt de bambou ardent. Les cannes à pêche. Du plafond pendent des espadons miniature. Au mur, un portrait à prise, rapporté des Tropiques : on y voit le patron, un vieux loup  de mer heureux et bronzé sur le pont d’un bateau, la turquoise à l’arrière plan, la bête sanglante au poing, suspendue à un fil.

Ici, la myriade d’objets pointant dans tous les sens, de poissons, d’univers et de couleurs, vous perdent. Au fond on ne sait plus où on est, ici, ailleurs. A côté du cadre à plot, un trophée, sans doute, de pêche ; des appâts polychromes, qui tels des poissons de récifs attirent…votre regard. Tout sent le sport, les rivières, les lacs, et la mer. La chasse, la pêche. La nature. La tradition immuable. L’attente tranquille, sur la berge. L’échappée, de sa femme, de son mari, pour prendre quelques heures et regarder l’avenir ou le présent différemment. Pour manipuler des vers de terre dans une boîte, comme si on allait les manger.

Ici tout se mélange : la mécanique de la mort, les hameçons, les fils, les appâts trompeurs, même quelques harpons ; les couleurs, l’évocation de la vie submarine, celle qu’on voudrait conquérir ou observer, dompter, mater, renvoyer à l’eau en l’ayant transpercée à la lèvre ; l’évasion, le loisir, les dimanche ensoleillés, les chapeaux verts à hameçon, les grandes bottes, l’eau jusqu’à la taille, le lancer de la mouche, le bruit du ruisseau, le silure, le saumon, les petits poissons, la boue qui se disperse dans l’eau claire, les silures, le « sport ». Tout ça ensemble.

La pêche, c’est une contrée au Panthéon, aux artefacts, et aux espèces à part, une société, la société des hommes qui pêchent. Rythmée par des congrès, des retrouvailles, des clubs tout-puissants, où la politique peut être pire qu’au Congrès des Etats-Unis, au Sénat romain ou dans les pires groupuscules. Une religiosité à part entière. Une évasion. Mais aussi un ensemble de valeurs : une vie sauvage préservée, parfois organisée en étangs et réintroductions. Ici tout ça se mêle, on aime se raconter ses aventures, on aime être du niveau du patron avec qui on discute. On aime venir ici passer une heure ou deux, acheter un ou deux objets, converser, en être. A travers la vitrines, de minuscules fils relient le lieu à mille hommes et femmes dans tout le quartier et ailleurs.

Paris, le 6 mai 2013.

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