Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Tag: décoration

La coutellerie

La solution pour offrir n’est pas toujours du côté du sucré ou de la cravate. Ici, on vend des objets pointus et saillants ; ceux pour lesquels la tradition oblige à rendre une pièce de monnaie, ne serait-ce qu’un centime. A premier regard, ce ne sont que des Laguiole et des Opinel, mais quand on s’y penche de plus près, on s’aperçoit que ce n’est pas que le local du boucher ou du baroudeur. Tout est en vitrine, ou presque. Pas de couteau en céramique ici ; attention, d’ailleurs, cela peut être dangereux, l’air de rien, ces machins.

Ici on vend pour les belles tables et les belles aventures ; le mondain le plus prestigieux côtoie les plus folles virées dans le désert—c’est comme si c’était d’un seul tenant—. Commençons par les arts de la table, comme on dit. Le plus impressionnant, ce sont les manches en ivoire de mammouth. De mammouth ? Oui, car la fonte du permafrost en Sibérie nous livre des mammouth entiers, et c’est pain bénit pour le luxe. Pas la peine d’abattre des éléphants, le climat nous livre leurs parents des neiges. Remarquez aussi les manches en bois d’olivier de tant de teintes différentes ; en définitive, les plus belles pièces viennent des parties les moins soupçonnées de la nature et des vergers. On n’y pense pas, aux couteaux, mais qu’ils sont beaux, alignés les uns à côté des autres ! Ca doit durer toute la vie, et ça va en machine, enfin parfois. Vaut mieux éviter avec les manches en bois et en corne. Et si on arrêtait la corne ? se demande un visiteur. Ils sont déjà morts, de toute façon. — Ce n’est pas une raison pour en encourager l’élevage, répond le végétarien.

Le débat continue. Du côté de l’aventure, un grand raffinement se dégage des couteaux de poche, des couteaux pliants, des aventuriers et des randonneurs. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir autant de goût en mangeant son casse-croûte en forêt. Vous savez, certains marcheurs mettent un point d’honneur à n’employer que des belles choses. Peu mais plus beau, en quelque sorte.

Heureusement qu’on est en rez-de-chaussée à même la rue, dans un coin sombre ; si le soleil faisait face à la vitrine, on n’y verrait plus rien, certains soirs.

Quelques nouveaux modèles avec des couleurs fluos. Quelques modèles qui ressemblent à des jouets pour enfants, avec des couleurs de bonbon, de Smarties. Est-ce bien raisonnable ? C’est une autre marque,  c’est nouveau. Mais cela ressemble à un jouet, cela n’est-il pas dangereux pour les enfants ?

Pas de réponse…

Paris, le 1er février 2015.

A Sebastião Salgado, pour son travail sur les damnés de l’extraction.

Le coiffeur antiquaire

Dans le magasin, on écoute beaucoup de musique ; euh, je veux dire, dans le salon. Ou le magasin. (Ou le salon…)

La vitrine est, décidément, bien celle d’un coiffeur. Dedans, il y a bien des éviers, des chaises (anciennes, en bois, forcément) et un présentoir avec des shampooings de professionnel, que vous pouvez rapporter chez vous à bon prix. Il y a les miroirs coutumiers, et au fond, l’arrière-boutique où vous vous asseyez pour qu’on vous lave les cheveux. Les serviettes. Les photos de modèles désuètes, vous indiquant les bonnes coupes de cheveux des années 80 et 90, qui peuvent vous donner l’inspiration de votre prochaine coupe à la Etienne Daho. Remarque, ça revient à la mode ; peut-être que ça tombe bien. On a aussi un vieux tourne-disque ; ici, on écoute ce qu’on veut, mais on préfère sans la FM à deux sous qu’on entend dans les chaînes de coiffure. Dites-nous si vous avez une préférence. Quoi de plus normal, pense-t-on ici ? mais le normal, vous savez, ça dépend d’un endroit à l’autre. Les patrons sont d’abord coiffeur, et coiffeuse-esthéticienne, double compétence, elle-même doublée par trente ans de métier. Mais ils sont aussi passionnés de choses anciennes, et peu à peu, leur passion a envahi leur espace, s’est apposée sur leur vocation. Que vend-on ici ? de tout. Au départ, il y avait des bibelots de notre appartement, et peu à peu, on y a pris goût, raconte-t-elle. Moi, je collectionne depuis l’enfance. J’aime les bijoux surtout, les vases, les belles choses. Lui, il collectionne les affiches. (Sur le mur au fond, pas de photo de modèle d’autrefois, mais deux trois affiches de cinéma : Marcel Carné, Jean Cocteau, Jacques Tourneur—vous avez vu la Féline ? c’est un bar aussi maintenant, à Ménilmontant—).

Et puis, ça a rajouté du chiffre d’affaires. Point de vue coiffure, on a de la concurrence depuis quelque temps ; juste en face ! une chaîne a ouvert ses portes. Mais on a nos vieux clients, depuis toujours, dit-elle en soupirant et en tirant sur sa cigarette. Ici, c’est pas pareil, on peut boire le café, et acheter un vase ! rit-elle en vous l’expliquant. Moi j’ai acheté des chaises et je les ai fait repeindre, explique quelqu’un d’autre à qui on taille la barbe. On va rajouter un forfait « barbe » dans la vitrine Ils sont tellement nombreux, tout à coup.

Dans le quartier, autour de la placette, on se retrouve à quelques commerçants fidèles ; le boucher, à droite, d’ailleurs, il est de droite ; le bistrotier ; le boulanger et sa femme (ils tournent bien) ; la nouvelle, qui vend des vêtements pour enfants, des « créations » (on se demande comment elle fait). Une commerçante ambulante, qui vend du linge ancien, s’installe parfois sur le parvis, devant le café. Les gens de la chaîne sont sympa, mais ils tournent pas mal. On est bien mieux ici. Les murs sont jaunis par le tabac et le passage du temps et on circule de moins en moins bien dans le salon, mais après tout, qui dit qu’un salon de coiffure doit ressembler à une salle d’attente à l’hôpital ? On en a assez du blanc stérilisé ! lui a confié une vieille cliente qui rentrait d’un séjour au CHU. Paiement chèque, ou espèces, s’il vous plaît ; ici, on n’aime pas trop la carte bleue. D’ailleurs, personne ne l’aime, parmi les commerçants ; vous avez vu les frais qu’ils prennent ?!

Où cela ira-t-il, pour nous ? dans l’avenir, entre une activité et l’autre ? Nulle part ! s’exclame-t-elle (lui parle peu). La retraite, j’espère ! reprend-elle en riant.

 

A Sonja Fercher, Stéphane et Michèle Gartner.

Vienne, le 25 janvier 2015.

Le magasin d’argenterie

L’avoir chez soi ou à la banque. L’exhiber ou la cacher. La sortir pour les grandes occasions ou la léguer en l’état.

            Moi, je vous conseille de la sortir et de vous en servir, conseille l’une des propriétaires de cette boutique, où les gens ne se précipitent pas pour rentrer. La vie est courte. On meurt et après ?

C’est affiché en écriture cursive, à la française, à l’ancienne ; Argenterie neuve et d’occasion. Toutes les maisons sont ici, Christofle, Villeroy et Boch, même les fabricants de cristal… Ces dernières années les grands designers et même les couturiers s’y essaient mais pas toujours heureusement. Ici, on filtre selon le goût des propriétaires. Les arts de la table, comme on dit, sont ici ; l’argenterie est centrale à ceux-ci. Les objets qu’on expose ici, dans des vitrines, des étagères (certaines grimpent jusqu’au plafond), sur les tables d’exposition vont bien au-delà du couvert. La corne, le bois, le cristal, l’or mêlé à l’argent, tout est là. Bougeoirs, chandeliers, candélabres, cafetières, plats, cadres, coupes, jusqu’aux suites de table faites en miroir, pour poser des lampes ou des bougies ou encore des plantes. C’est sans fin. On se croirait chez Ali Baba. Bien sûr qu’il y a une alarme et que c’est protégé. On se croirait dans un grand Noël de famille. On croit voir le rôti nager dans le plat. La lumière de l’halogène dore la pièce et fait briller certaines pièces, ajoutée au soleil qui fait iriser jusqu’à la rue lorsqu’entrent ici les derniers rayons du jour.

Chaque objet a une histoire ; il faut prendre le temps de regarder ; plaisir des yeux, plaisir de la connaissance. Ceci, c’est du Napoléon III ; ceci, c’est exactement ce qu’on trouvait à Versailles. Ca, c’était une pièce que l’on emportait quand il fallait fuir, tout laisser derrière soi.

Il y a toujours moins dix pour cent sur tout le magasin ; à croire que cela fait partie du prix. Si vous cherchez une pièce particulière, je peux vous la chercher propose la patronne (son mari est absent aujourd’hui). Ils vont aux enchères, ils achètent au particulier ; la maison est établie depuis vingt ans. On travaillait mieux avant, mais ça va, on s’en sort. Ici, on parle anglais, allemand, et quelques mots de russe.

Les murs auraient besoin d’un coup de peinture fraîche, mais le parquet tient le coup. Dans l’ensemble, l’heure est à la vente, pas aux travaux. Est-ce que ça se perd chez les jeunes consommateurs d’Ikea ? On y reviendra !

 

Paris le 19 janvier 2015.

A cette dame qui m’a si gentiment accueilli et expliqué.

Aux bougies d’intérieur

Le magasin dégouline de bonnes odeurs ; certains diraient, de bonnes intentions. Mais ce n’est pas si important, car ce qu’on vient chercher au magasin de bougies d’intérieur, c’est une ambiance, plus qu’un parfum. Celle d’un soir solitaire où l’on allume la bougie en guise d’appel à l’inspiration et à la quiétude. C’est comme une balise lumineuse, dans la nuit du faire que constitue chaque jour, disposée pour soi-même : repose-toi, par ici… Et puis c’est pratique pour les mauvaises odeurs, confirme la vendeuse en balayant une mèche blonde. Moi j’ai celle-là, à la maison. Fraise, rose : j’adore. Le client ramasse et sent, circonspect. On dirait un yaourt.

L’achalandage est simple : pas mal de bougies brûlent, mais jamais trop à la fois. Il règne une odeur de Sephora, de magasin de parfum. On vend aussi des mèches, des lampes à huile, des bougies de collection. En cette période de Noël, on vend même les tisanes de Noël, celles qui donnent un prolongement à boire à ces fortes odeurs de bonbon américain qui pèsent sur la boutique : cannelle, fruits rouges, baies…

Aujourd’hui, dans l’espace de vente, tout est rouge ! dans certains pays, avec autant de couleur, on se dirait peut-être en guerre, mais là, ça veut dire : faites sentir vos intérieurs pour vos invités ce soir. Mon préféré c’est la bougie moyenne vanille, témoigne une cliente. Tu ne l’as pas rentrée, dernièrement ? Ah, dommage. Tu peux prendre la verte, thé vert matcha, lui conseille la vendeuse, balayant toujours sa mèche. Ah ouais, pas mal. Allez go ! Tu attends du monde pour les fêtes ? Ah Noël, quel stress !

Pendant l’été ce seront des odeurs qui respirent, qui reposent. Pourrait-on, demande une dame, ouvrir la porte pour aérer un peu ?

La baraque du marché de Noël

Ca y est ! on a dressé le petit chalet sur la place du marché.

Dix autres comme lui se côtoient, prêts à accueillir les chalands et les touristes de même, avec le visage sympathique d’une souriante maisonnette d’hiver. La zone piétonne est équipée de hauts parleurs. Depuis deux jours déjà, ils passent à toute heure de la musique de Noël (américaine, et, pas après 22h, les riverains étant intervenus).

Tout semble prêt pour le déploiement de la magie de Noël. Qui sait d’où vient l’expression. A l’intérieur, un petit chauffage permet de garder les jambes bien au chaud, tandis que l’on fait face au temps qu’il vente ou pleuve (de toute façon, on est à l’abri, et on y est plutôt bien). Cette année, le placier a été particulièrement capricieux. La concurrence est rude ; les dossiers devaient être déposés dés le mois de juin. Juin ! Eh oui, faut prévoir. On espère que les ventes seront bonnes ; jamais possible de prévoir. On a prévu de nombreuses fois et on s’est trompés à de maintes reprises. Cette année, le voisin dit qu’il y aura plus de Japonais, plus d’Américains, moins de Russes, peut-être un peu moins d’Allemands. Ca ralentit, l’Allemagne. Mais c’est juste à côté, en même temps : qui sait ? Car on est juste à côté. On est en Alsace, tous les villages de la région et toutes les villes ont leur marché de Noël. Strasbourg et Colmar concourent sans cesse pour la taille de leur marché ; Sélestat pour la capitale de Noël. Les babioles de Chine envahissent tout. Maintenant, au-delà du nombre, une exigence de qualité : est-ce fabriqué en France ? Dans l’Est ? En Allemagne ? Ou je ne sais où ? Ca tient ?

Dans cette maisonnette, on est spécialiste de pain d’épice et de friandises de Noël. Tout vient d’une excellente pâtisserie au village. Les grandes pièces viennent d’un fabricant spécialistes à quelques kilomètres. Goûtez, Madame, vous ne le regretterez pas. Ah, oui, c’est très bon, spécialité régionale, vous savez. Passons sur le fait que le pain d’épice est une terre hautement contestée : que de pays d’Europe ont sur lui planté leur drapeau, mais il résiste, se dérobe et se réinvente d’une contrée à l’autre. Ici, en Alsace, on le fait d’une certaine façon. Moins de gingembre qu’aux Pays Bas et dans les pays anglo-saxons. Moins de chocolat qu’en Allemagne. Plus nature.

Tout un parcours conduit ici ; par la mairie ; par les rues piétonnes. Un guide imprimé sur un papier glacé doré indique le chemin et les stations du pèlerin. Tout au long une décoration, un spectacle presque total. Que viennent-ils chercher ? se demande une habitante qui les observe par la fenêtre. Le côté Hansel et Gretel, peut-être. C’est en Alsace que Miyazaki est venu chercher le décor du Château ambulant. Le dépaysement, à deux pas de chez vous. Encore que : certains viennent de loin, d’Asie, d’Italie. (C’est pareil, n’est-ce pas…). Le paysage de carte postale, les traditions perdues (ça, c’est pour les Parisiens). On cherche encore. Est-ce commercial ? oui. Tout le monde vend quelque chose. Mais en même temps, c’est aussi plus que ça, encore, qu’ils viennent chercher. C’est peut-être le sens de Noël et des fêtes, le sens d’une époque de l’année où il fait nuit plus que jour et où l’on voudrait se recroqueviller sur un cocon. C’est peut-être de se retrouver.

Colmar, le 1er décembre 2014.

1er décembre : Journée mondiale de lutte contre le SIDA et le VIH.

Le magasin d’affiches

OK, c’est culcul, mais ça se vend.

La vendeuse et le patron parlent de l’affiche Titanic que l’on retrouve fièrement arborée en vitrine. Oui, c’est culcul, mais ça vend. Et à côté, pour la peine, on a mis du Metallica, pour la dureté masculine, et Les Visiteurs, pour le côté franchouillard. Tout est affaire d’équilibre. Le patron, fasciné par la philosophie asiatique (yin et yang, tout ça) en est persuadé. Savez-vous comment on dit crise en japonais (c’était en japonais, déjà ?) ? Problème – opportunité. Fascinant. Ils ont tout compris.

Donc la vitrine est quasi entièrement occupée par les affiches et les posters. Des cadres aussi, de la photographie « originale » (comprendre, qui change) avec des photos d’enfants et les inévitables chats. Il en faut vraiment pour tous les goûts. A l’intérieur, les murs sont eux aussi couverts d’affiches : Matrix (celle-là se vend assez cher), Tina Turner (une cliente l’a rencontrée une fois), Mylène (une icône), Johnny, Un Indien dans la Ville (beaucoup d’aficionados).

Quelques affiches d’occase, aussi ; il faut bien en reprendre, certaines ont de la valeur ! Ici, c’est le temple de l’affiche. On ne discrimine pas. A un moment, on a vendu des affiches de chevaux, mais ça ne se vendait pas tant, et il a fallu revenir aux fondamentaux. Chanteurs, films, et chats. Cadres photos. Tout ce qui décore, car en ces temps de signal culturel et de classisme, il faut pouvoir dire à l’autre qui vous êtes par l’affiche que vous avez. Ce sont toutes les mêmes structures, les mêmes reproductions grand format, les mêmes fabricants…, mais selon que vous ayez accroché Céline Dion ou Metropolis, vous n’êtes pas la même personne.

Alors croyez en vous, croyez en vos goûts. Ca fait beaucoup, la première nuit, de s’épargner les mots inutiles. Toi aussi tu aimes… ? C’est fou, on était vraiment fait pour s’entendre.

Il faut regarder ce que les gens rapportent parfois. Des affiches dégueulasses, hors d’usage, mais une fois, on en a acheté une vieille, déglinguée, et pour cause : c’était Les enfants du paradis. Ca aussi, c’est le rêve du patron. Arlety. Paris est si petit pour deux êtres qui s’aiment tant…

Ca tombe bien, on est en province, et une parole mythique comme celle-là vaut bien d’acheter une vieille ruine.

La concurrence s’intensifie, néanmoins : des sites proposent de faire des reproductions de vos photos de famille en grand ; du coup, on s’y est mis, aussi, via un confrère imprimeur. Et il y a les grandes surfaces, qui proposent, outre les fourchettes et le canap’, l’affiche qui fera sensation et cultivé. C’est pour ça qu’on dit aux gens : faites ce que vous voulez, mais si vous voulez de la qualité et du service, et surtout, un conseil de connaisseur, c’est ici qu’il faut venir. Sur la rue pavée dehors, la tête de Céline Dion se mire parfois sur les pavés mouillés, les soirs de pluie.

 

Rennes, le 10 novembre 2014.

A mes élèves.

A M.

L’épicerie fine japonaise

La boutique est en travaux, c’est peu habituel, mais du coup, certaines animations régulières comme la cérémonie du thé ou les lectures du vendredi après-midi n’auront pas lieu. Nous sommes dans une boutique d’objets et de comestibles du Japon, mais comme souvent c’est toute une culture qui s’exprime dans le détail de minutieux emballages et de biscuits emblématiques. A la châtaigne ? Curieux, cela a un goût de sauce soja, on dirait des fortune cookies, mais pourtant c’est fort différent, c’est brun doré, c’est dur, cela croque comme du nougat d’Espagne. Les rayons, fait peu caractéristique, ce nous semble, du Japon, sont un peu un bric à brac : vers l’entrée, et plutôt sur la gauche, trouvez la vaisselle, la porcelaine plutôt, posée sur des tables et des étagères qui dans leu prolongement se transforme en bureau de caisse. Au fond, des thés en tout genre. Derrière le fameux bureau, on trouve des sauces, des condiments ; du Miso de plusieurs couleurs (c’est un champignon, c’est un peu comme un Maggi naturel)… de l’autre côté, vers la droite, plein de produits séchés, lyophilisés, à longue conservation. Des pâtes, des nouilles, des biscuits encore, des produits en boîte. Le passant curieux se transforme, pourvu d’avoir quelques euros, en consommateur avide de découverte. Rien n’est prémédité. L’accueil est agréable, mais économe : on est concentré, on travaille, on agit, on range, on coordonne les travaux. Là on va peindre, là on vient de finir. Ah oui, quand ce sera fini, ce sera très joli. Mais vous savez, ce que ça dure, les travaux… On n’en finit plus. A la fin, on est ruiné et content d’en être débarrassé. Mais oui, par-dessus le marché, quand vous pensez que vous arrivez au bout… il y a toujours quelque chose.

Alors on a mis le meuble des bonbons au milieu : il est face à vous quand vous entrez, c’est tentant, c’est magique ! des confiseries au yuzu, à l’agrume, aux haricots rouges bien entendu (si, si, vous allez voir, c’est pas mauvais), au matcha, au thé vert. Des boules gluantes de pâte de riz fourrées avec différentes mixtures sucrées, fabriquées avec les ingrédients précités. Testez ! faites-en des cadeaux, vous allez voir que ça marche pour les invités et les petits gestes.

Les sacs sont en papier, et en réglant vous remarquez qu’on a mis des origami aux différents coins de ce fameux bureau sur lequel sont éparpillés un ordinateur portable, le terminal de carte bleue, la caisse, et puis des cartes de visite. Avant de partir, vous vous aventurez encore dans le rayon des petits cadeaux, au fond, où il faisait sombre et où vous n’étiez pas allé, et là il reste des cerfs volants, des masques de papier, de petites figurines, des poupées et des kimonos…

Il faudra revenir avec les enfants, cela va leur plaire, dit une dame à son mari. Mais qu’est-ce que tu veux encore qu’on s’emm…e à les promener par ici un samedi, lui répond-il. Bon, je viendrai toute seule, grommelle-t-elle tandis que la porte à clochettes se referme, laissant la patronne à ses affaires.

 

Paris, le 19 octobre 2014.

La miroiterie

Le miroir coiffé d’un navire est celui qui retient l’attention en premier, parmi tous les autres. De loin, les vitrines se signalent par les mentions flatteuses : MIROIRS, GLACES, SUR MESURE, DEPUIS 19…, ou encore, LE PLUS GRAND MAGASIN DU PAYS. Ca c’est de loin. Ensuite, on s’aperçoit, certains jours d’été, ou de grand soleil en hiver, qu’on a les yeux éblouis sans trop savoir pourquoi… ah mais oui, c’est un magasin de miroirs (Pardon Madame). La boutique fait le coin ; elle est jolie, car dans un ancien bâtiment de brique, et elle porte d’anciennes vitres encadrées de bois ancien et croisées comme autrefois. La porte est en bois, remarquablement ancienne pour une marchandise d’une telle valeur !

Le sol de la boutique, c’est une moquette parsemée de tapis d’Orient. On voit ça aussi, tout de suite, je ne sais comment ; peut-être parce qu’ici, tout se reflète. Mais tiens, à y songer, on s’attendrait à se retrouver dans la Galerie des Glaces, et ici, ce n’est pas du tout ce qu’on trouve. Et derrière le bazar d’une promotion annoncée en façade, qui laisse espérer de trouver le bazar à l’intérieur, on se retrouve dans un coquet espace tout bien rangé, bien pensé. Et bien sûr, il y a le miroir au navire. Le navire est en miroir, faut-il le préciser ; on dirait que ça vient du mobilier de la Ville de Paris. Poussant un peu, plus loin que le pas de porte, on entame la visite qui démarre avec un petit dressing. Style traditionnel sans être ancien, d’une époque et d’un style qu’on a du mal à situer : hôtel anglais ? chambre bourgeoise ? qui sait. Ensuite, des psychés, une table avec de petits miroirs entreposés, pour le matin et la toilette du soir, le rasage. Plusieurs grands miroirs posés les uns contre les autres à la zouave, adossés au mur. Et d’autres à hauteur d’homme, dorés, argentés, chromés, encadrés de bois. Rapidement, on perd de vue l’ordre des articles tant l’ensemble étonne : une petite commode toute recouverte de miroirs ; des horloges réveil ; des vases, également réfléchissants (cela ne dédouble pas les fausses fleurs qu’ils exhibent), d’autres miroirs encore accrochés au mur, traditionnels, carrés, ovales, ronds, à dorures, sans dorures, noirs façon années 1980, avec des carrelages de salle de bain design, ou au contraire des miroirs imitation vénitienne, grandioses. Contre un fauteuil de velours, deux petits miroirs ronds vous regardent de leur petit âge et avec de grandes prétentions. En fait, vous vous regardez vous-même. Contre un mur, un miroir expérimental fait de pièces diverses est assemblé ; patchwork de bris de miroir. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour avoir une excuse de se regarder ? et on a aussi un miroir classique en plusieurs tailles : 80cm, 1m, 1m20… Vous savez, on peut tout faire aussi sur mesure. Il y a un miroir dont le cadre est décoré de coquillages. Soudain, découvrez la variété des objets de ce monde. Ce que vous pensiez rare est venu vous hanter en nombre.

Du haut pendent des plafonniers ; candélabres en cristal et miroir, et imitation or. Là encore, tout ce qui contient des miroirs est ici (non, pas de rétroviseur, tout de même !). Dans tout cela, l’image reste la même ; pas une ride vous a dit le vieil ami hier, retrouvé après longtemps ; eh bien, ce n’est pas vrai.

Paris le 31 août 2014.

Le magasin de parapluies

« Parapluies et cannes, oui. Mais oui, passez à l’heure que vous voulez, Monsieur ! »

C’est ainsi qu’on reçoit ici, dans ce magasin, au téléphone, avant même que l’on vienne. Tout pour le client, c’est ce qu’on aime à dire. Les objets que l’on commercialise ici sont importants : les cannes servent à nombre de personnes infirmes ou temporairement ou de façon permanente, et pour cela, il faut être prêt à faire des efforts, car leur démarche est rendue difficile par la gêne qu’ils éprouvent à marcher. D’autre part, on se plaît à dire, dans ce décor dix-neuvième, derrière les vitrines gravées en lettres dorées à la manière d’autrefois, que l’on est dans un temple du luxe, mais d’un luxe subtil et élégant, presque caché.

Tant mieux pour nous, ronronne dans sa barbe le client ou le patron lui-même, en se caressant le bout des moustaches, et une barbiche qui paraît sortir de Balzac. Les cannes sont protéiformes ; elles sont couronnées de têtes de chien ou de chat, de cerf, généralement d’animaux masculins car pour une raison obscure on assimile la canne à l’homme là où les femmes en portent aussi. Tous ces bâtons sont regroupés, debout et en faisceaux, sur des présentoirs à droite et à gauche du magasin, qui est un vaste couloir en L, où l’on entre et où l’on déambule avant de tourner à droite, et de faire face à un comptoir où l’on peut se mirer dans la glace pendue au mur. Les miroirs sont partout, de toutes parts, sur presque tous les murs, et à hauteur de pied déjà jusqu’au plafond ; ainsi, on peut s’admirer, contempler sa démarche auguste.

Ailleurs, mais pas en un endroit précis ; un peu partout, à vrai dire : on trouve les parapluies. Avec les têtes d’animaux, ils forment des totems habillés, de petites colonnes, habillées façon Christo. On trouve aussi des pierres, des cristaux, des boules, au bout des anses. Les robes des parapluies rassemblées sont comme un étal de soieries : du rouge bordeaux et du vert foncé le plus élégant à des motifs à pois roses, voire à cœurs. Des fleurs de lys pour les plus ultra. Le tout se dispense mais ne s’essaie pas. On n’ouvre rien dans la boutique, c’est un principe ancien et cela porte malheur. On vend, en revanche, plein de tailles différentes, et l’on est indulgent avec les clients qui veulent essayer sur le trottoir ; personne n’est jamais parti sans payer. De toute façon, remarque-t-on au fil des années, le décor opère une sorte d’antisélection et filtre les bons parmi les passants. Et puis, on a nombre de clients fidèles, qui reviennent depuis des années, et qui initient leurs enfants, lesquels reviennent encore éprouver les lates anciennes et souvent cirées du plancher de bois, couleur dorée, comme tout ce qui se trouve ici ; que ce soit le bronze, le bois ou encore les différents éléments de décoration que l’on a gardé au fil du temps. Quelques parasols beige, blanc et pastels, rarement vendus mais jolis comme tout, en bois et en dentelle, rappellent le passage des années et tentent les nostalgiques.

Le changement climatique, les étés pourris ; c’est bon pour les affaires ! plaisante le vendeur-en-chef avec le patron, car on est de plus en plus mouillé.

 

Paris le 24 août 2014.

 

Le magasin de bibelots chinois

Soixante siècles d’histoire vous contemplent du bas de ces étagères. Concentrées, miniaturisées, reproduites à l’infini, toutes les grandes œuvres sont ici, au détour d’un boulevard parisien : la grande muraille, les Bouddha de plusieurs styles et époques, les multiples chats souriants (Lewis Carroll serait-il allé en Chine ?) qui vous narguent de leurs vœux de bonheur, les pendentifs rouges, les lampions, les statuettes soldatesques du mausolée de l’empereur Qin, comme surgies de Terre et rétrécies par le voyage. Tout est là, et plus encore : les grands monuments, certes, mais aussi l’art de vivre, les arts de la table (de délicieuses baguettes, le plein de théières à la façon kaolin, de la vaisselle), de petits objets (des tigres, des panda, des baguettes d’encens).

Il y a les pendentifs de jade et de bois précieux, situées dans une petite vitrine qui fait aussi comptoir, à droite de l’entrée. La surface du magasin ne fait pas plus de vingt mètres carrés ; elle est achalandée comme pour quarante ; une dame d’un certain âge trône derrière la vitrine et vous accueille d’un sourire. Essayez-le, Monsieur, vous dit-elle nonchalamment (vous avez peut-être envie, Monsieur, de porter un collier de jade, et puis qu’est-ce que ça lui fait). Ca vous irait bien Madame, dit-elle à votre amie. Le jade nous fascine.

Plus loin, sur le mur qui face à l’entrée, il y a quantité de calendriers chinois. Curieux comme le calendrier chinois a survécu à l’iPhone. Il n’en est pas tout à fait de même du calendrier des pompiers, si ? C’est joli, en tout cas, et décoratif, et cela montre, au-dessus d’un reposant paysage de collines, un dragon ! D’ailleurs, des dragons, il y en a en quantité dans cette boutique ; gonflables, illustrés, en figurine ; il y a même des bouts de costume pour le Nouvel An. De même que vous n’avez plus besoin de voyager pour voir (Google vous emmène en visite virtuelle partout), vous n’avez plus besoin de voyager pour vous acheter des souvenirs. Pour ceux à qui le souvenir marque le voyage, cela cause une sorte de trouble. Si on peut s’acheter la babiole partout, à quoi bon voyager ? Surtout, comment montrer qu’on y était vraiment ? Il faudra se reporter sur les objets d’un artisanat plus rare et précieux, qui sont assurément introuvables chez soi. Ces beaux objets sont à trouver dans les boutiques design et les villages reculés ; c’est pourquoi, s’il est chic d’acheter dans la boutique de babioles en bas de chez soi, sur place, il vous faudra opter pour l’artisanat d’art, ou, rien du tout : voyager léger, et rapporter de là-bas, croquis, objets rares, ou expériences à raconter. Ce dernier point implique une plus grande témérité culinaire, une plus grande propension à essayer la ruelle sale qui recèle peut-être un trésor d’authenticité, ou enfin, à emprunter ce sentier escarpé que personne d’autre n’a vu, près de la Muraille, et qui vous fera déboucher sur une véritable scène locale, avec de petits vieux qui jouent aux échecs, ou au jeu de go, que vous prendrez en photo, et qui vous fourniront par leur seule présence une vision que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

Pour revenir à notre affaire, vous trouverez tout de même ici d’originaux cadeaux d’anniversaire, petits objets à offrir à vos invités, ou décorations de salle de bain. Les étudiants adorent : c’est moins loin qu’Ikea, et plus exotique que la petite ville dont on vient. Quelques années durant, ils seront de grande valeur ; un jour, ils auront valeur sentimentale ; et dans un futur incertain, la maladresse d’un enfant joueur, ou la lasse malveillance d’un conjoint faisant place nette en aura peut-être raison.

Procida, le 30 juin 2014.

 

A Bertrand Gartner ; à sa deuxième jeunesse.

A Vanessa et Benjamin Miler-Fels.