Le magasin de cuir
par Frédéric Benhaim
Je n’ai besoin de personne…
Brigitte Bardot, vêtue de cuir, en moto, torride et dangereuse, chantait la liberté.
Le cuir est une liberté au sens figuré. Car au sens littéral, c’est de d’abord l’inconfort. Fesses enserrées, poils hérissés à l’enlevage… Le pantalon de cuir ne va pas à tout le monde. Il sied aux motards, car il les protège. Et il va bien aux vedettes rebelles. La veste, elle, sied aux gangsters, car elle les décore. Une armure symbolique, mais pas que : contre couteaux et chutes, ça n’est pas du luxe.
A la longue, on s’y fait, et le cuir finit par vous aller…comme un gant. Une seconde peau, en quelque sorte.
Et pour cause ! le cuir vient d’une vache épluchée. D’une carcasse tannée.
Le cuir a une odeur particulière. Celle de la mort polie, cirée et malaxée. Mais au bout du compte, c’est une sorte de réincarnation. Dans la nature, rien ne se perd, tout se transforme : le noir et blanc de votre vache laitière devenu botte. Qu’est-ce alors que le parfum du cuir ? Vous pensez que vous savez ce que c’est mais vous êtes au défi de trouver. Emanait-il des ruelles humides des tanneurs du passé, où dans un ruisseau sanglant et sale des hommes travaillaient la peau ? (On dit qu’il y en a encore, en Inde.)
Ce magasin-là est spécialisé : cuirs, daims. Vous y trouvez des cuirs et des daims de toutes sortes. La patronne aime bien : elle-même s’habille de daims, bleus, rouges, orange. Elle aime les jupes de cuir noir, touche SM mais pas trop. La vague SM n’est pas arrivée jusqu’ici. On a pourtant consacré le cuir et les cravaches, comble du chic, dans les défilés de mode, les campagnes publicitaires, les clips des chanteuses.
Ici viennent des gens de partout, d’ailleurs plutôt des bourgeoises. La boutique ne fait que de la femme. On y trouve de très belles choses, vraiment. Une belle matière. Un travail d’orfèvre. Une élégance “nature” qu’on ne trouve qu’ici. Dans la boutique de bois, aux poutres d’époque et au parquet bien ciré, bois clair ; couleurs chaudes ; rodéo et bronco ; Arizona ; cavaliers Marlboro ; outback. Le désert revisité par la mode, parsemé de cow-boy, à cheval dans les cactus, ou dans la rue piétonne, cela se tient. Au magasin, on se croirait au ranch.
La boutique est petite, plutôt bas de plafond : les deux vitrines autorisent chacune un mannequin à peine. Dedans c’est bien organisé : étagères séparées par des miroirs, deux-trois penderies, un comptoir et un tabouret haut, façon bar, en bois peint. Ordi portable, papiers à reçus, les machins électroniques de circonstance—iPad pour jouer de la musique (plutôt cool, on n’est pas chez Pimkie)—, stylo, bouquins et beaucoup de magazines.
La maison accepte les cartes bleues à partir de 30€, les chèques des clientes, oui, mais les faux arrivent, et donc, méfiance ! Le cash, aussi, un peu.
Comme tout le monde, chacun ses hobbies, et les Cosmo qui s’empilent sur le comptoir cachent une passion pour le théâtre ; dans toute la région, notre commerçante ne rate pas une pièce, même si les clientes ne savent pas toutes en parler…
Pour autant, elle l’assure : je mourrai dans mon magasin.
Paris-Bruxelles, le 4 août 2012.
* A M-A.