Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Tag: Jouets

Le magasin de manga

Pour vous, la fréquentation du monde des manga s’est peut-être arrêtée en 5e, ou un peu plus tard, quand les longs étés de vacances scolaires ont commencé à se tourner vers la drague et les mobylettes plus que vers la télévision et les Sailor Moon. Mais certains ont continué, et le chemin du manga a conduit au pays des fées (y en a qui deviennent illustrateurs, ça permet d’en vivre) et du Japon (d’autres, ou les mêmes, apprennent le japonais, et l’un ou l’autre a fini chez Nissan).

Le monde des manga, c’est comme celui de Marvel, ou de Tintin ; c’est un monde de connaisseurs, c’est un monde où vous entrez par la grande porte et sortez par les tunnels secrets. Un entonnoir. A l’autre bout le public, qui croit connaître ; ici, les spécialistes.

La vitrine est pleine à craquer : figurines de Dragon Ball Z, de Sailor Moon (vous savez qu’en réalité c’est souvent érotique ?), de plein d’autres personnages jamais diffusés par le Club Dorothée ou France 3. Ils sont hommes ou femmes ; ils ont de grands yeux d’enfant et des armures de guerrier ; ils vivent dans un monde de pandas roses géants et tombent amoureux à coup de grands cœurs de caricature mais n’ont aucune pitié pour leurs ennemis. Ca c’est les manga. Les connaisseurs savent, et vous le vérifierez dans les bandes dessinées en VO qu’on vend à l’intérieur (intrigants idéogrammes…), que le manga descend d’une grande tradition japonaise : les amateurs vous le diront ; dans Miyazaki, il y a un peu d’Hokusai. Cela fait des siècles que l’on illustre par l’image et que l’on récite par de petites scènes illustrées. C’est comme si l’imagerie d’Epinal avait marqué toute notre tradition narrative. Mais, me direz-vous, dans Les Visiteurs ou Astérix, il y a peut-être un peu de Gustave Doré. Revenons à nos moutons.

Dedans, c’est comme en vitrine ; d’abord, c’est tout petit (on se sent déjà au Japon), et ensuite, ça monte au plafond. Tout est en boîte, mais nombre de petites figurines sont exposées sur des étagères ou des languettes de plexiglas qui sortent des rayons et leur permettent d’exhiber leur épée, ou de pratiquer une pose de combat…éternelle… Du plafond pendent des mobiles ; de tous côtés dégorgent des jeux, des livres, des statuettes de toute taille. Ici, c’est plutôt déco, mais pour les jeunes qui veulent jouer, il y a aussi de quoi faire. Ils viennent de loin, de grande banlieue, mais aussi de l’école d’à côté, et y purgent leurs économies parentales. Certains sont plus amis avec le commerçant qu’avec leurs camarades d’école. Ici au moins, on se comprend ; on parle des mêmes choses. Ca alourdit encore le cartable mais ce n’est pas grave. Lecture secrète ; au moins les parents ne liront pas ça… Vous payez au fond, à un passionné en cheveux longs et T-shirts noirs qui a déjà tout regardé et qui a séjourné maintes fois au Japon ; et qui vous dira, on ne cesse jamais de découvrir. La culture manga, c’est comme la culture tout court : bûcher des vanités.

Achetez plusieurs ouvrages et prenez la carte de fidélité. Pourquoi une carte de fidélité ? on ne va pas non plus s’acheter un manga au Sephora d’à côté ? Question de principe, répond notre ami en t-shirt (il porte aussi des lunettes) ! C’est pour remercier les clients fidèles, leur offrir de petits cadeaux, qui sait, un jour, un voyage au Japon. Ou en France, reprend-il, car vous savez, il y a des manga français !

 

Paris, le 14 septembre 2014.

A Nicolas Benhaim.

Le magasin de jouets anciens

La ville, songe le propriétaire de cette boutique installée dans une vieille et charmante rue pavée de briques, devrait me rémunérer en tant que musée !

En effet, les passants s’arrêtent nombreux les weekend et en été pour admirer les jolies choses qu’il vend, interpelés par le pittoresque de la vitrine ancienne, et de la devanture en bois, dans ce cadre si authentique. Et tels les visiteurs d’un musée, ils n’osent, ou osent trop peu, toucher. Ils se postent devant la vitrine et entrent avec un peu d’hésitation (l’hésitation annonçant généralement qu’ils ne feront que regarder). C’est à vendre voudrait-il leur dire quelquefois lorsque les sourires d’un promeneur charmé ne suffisent pas à apaiser son agacement. Pourtant il est fier d’être dans les guides, les brochures, et au fond, le succès du commerce est le passage. Quelques personnes dont le cerveau a été miraculeusement relié au porte-monnaie et aux facultés consumériales (une partie des neurones qu’il nous reste à découvrir…) procèdent à offrir à leurs enfants certains des magnfiques jeux que l’on trouve ici. Oui, c’est cela ! emmenez le musée chez vous ! Notons que certains adultes collectionneurs n’ont même pas pris la peine de fonder une famille pour devenir de fidèles clients et entretiennent ainsi l’univers de leur propre enfance. De qui d’ailleurs, se demande-t-on, en parcourant les rayons du regard, ces jouets sont-ils encore le souvenir ?

Car il y a des illustrations de 1900, des clowns en bois d’une taille désuète (trente centimètres ; plus personne ne fabrique de figurines de cette taille !)… Dans un meuble à niches, également en bois, peint de représentations de cirque, on trouve des animaux exotiques, derrière des barreaux (autrefois, on montrait les choses telles qu’elles étaient…)… Une quantité de poupées peuple aussi l’espace, mais rien d’excessif : ce n’est pas un magasin de poupées ! elles sont jaunes, apprêtées et habillées. Arlequin, dans ce dispositif, tient une place toute particulière, tout comme Pierrot. Quelques livres, mais surtout du bois, du métal et du papier plié. On trouve aussi de jolis bancs anciens pour les petits ; des boîtes ; des jeux de boule (on n’oserait plus jouer avec de peur d’abîmer la peinture). Et des chevaux, en bois aussi, qui nous font penser à un manège, sur lesquels vos enfants pourront faire tourner des X-Men. Tout est plaisant au regard. Deux sentiments se chevauchent : l’émerveillement, et pour le relativiser l’étrange impression de permanence, dans les jeux, dans l’enfance elle-même, dans l’expérience humaine enfin. Quelque chose qui nous rapproche dangereusement du passé : qu’est-ce qui nous distingue au fond ? C’est peut-être pourquoi le patron n’est en rien impressionné par les pièces qu’il vend ; du moins, pas en public. C’est dur à trouver, c’est vrai. Il faut faire des kilomètres, négocier avec de vieilles dames, et savoir renoncer. Mais ce ne sont après tout que des jouets, et peut-être que si nous osions encore nous en servir, nous aurions l’intelligence du jeu que les enfants dévoreurs d’images ont, ou n’ont pas, perdu.

Des enfants déboulent chaque jour devant la boutique ; sur le chemin de l’école, en jouant ou propulsés à toute allure sur différents véhicules à roues. Certains lorgnent, curieux, et retracent en rêvant l’étrange antécédence d’ancêtres du même âge, ou repartent avec une idée de jouet à fabriquer de leurs mains.

Amsterdam, le 3 août 2014.

 

Le magasin de jouets rétro

 

            Bilboquets et poupées ancienne mode ornent la vitrine, que complètent des jeux de société intelligents, fabriqués en Allemagne, montrant des enfants blonds et châtains clairs qui ont l’air de découvrir le monde après une longue période d’enfermement. Il y a aussi des toupies, rouge et jaune, bleu et jaune, vert et jaune. Les parents qui souhaitent que leurs enfants grandissent sains et intelligents viennent ici s’approvisonner en divertissements constructifs. Rien qui diabolise, mais rien qui n’hypnotise : il faudra accompagner l’enfant, le guider dans le jeu et dans son développement. Quelques parents moins orthodoxes viennent ici pour faire varier la panoplie de jouets électroniques et de jeux vidéo stockés à la maison. Il ne faut pas qu’il n’y ait que ça, après tout. Il faut aussi de l’éveil. A l’intérieur, des horloges coucou, des boîtes à musique. Des rayonnages de livres sur différents animaux : escargots, biches, hérissons, ratons laveurs, mais rien de chez Disney. Laissons cela aux chaînes et à Toys’R’Us. Le thème de l’escargot est prédominant. Il y a continuité entre la salle de classe des tout petits et la boutique.

C’est d’ailleurs ici que certains enseignants de l’école primaire toute proche (la boutique est idéalement située) recommandent aux parents d’acheter les cadeaux de Noël et d’anniversaire.

On dit qu’il y a quelques années, la Ministre de la Famille a failli venir dans ce commerce qui montre l’exemple.

Tout n’est pas kitsch. Tout n’est pas rouge, ni même en bois. La patronne semble sortir d’un cirque. Elle est habillée de chaussettes, bouffantes, et montantes, de tons pastel, relevés par des pois. Comme un personnage illustré. Elle est son objet éducatif à elle seule. Elle parle aux clients, adultes et bambins confondus, avec un ton à la fois docte et nunuche. Elle sait ce dont les enfants ont besoin. Elle a étudié la pédagogie. Petit à petit, pense-t-elle, on reviendra aux jeux d’autrefois, qui ont fait la richesse de (notre) enfance.

Au comptoir, quelques revues parascolaires pour parents et enfants éveillés : Wayati (pour les 2-3 ans). Pancnapi (pour les 4 à 6 ans). Bouloli (pour les 7 à 9 ans)…

Le jouet, lit-on, est désormais objet d’étude scientifique. Dolto en avait-elle parlé ? Que deviendront ces enfants ?