Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

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Merci

Chers lecteurs,

Après près de trois ans, j’ai décidé de suspendre ce projet en tant que publication hebdomadaire. Dans les semaines qui viennent, je ferai des relectures et une compilation ajustée des récits publiés sur ce blog. Trois ans, cela représente près de cent cinquante histoires.

J’annoncerai aussi mes prochains projets ici ; vous pourrez les découvrir très prochainement. N’hésitez pas à en parler autour de vous et à revenir.

Et merci pour votre fidèle compagnie (vous avez été près de 1.700 lecteurs chaque année, lisant chacun en moyenne deux histoires).

Frédéric Benhaim.

Popcorn de luxe

C’est la guerre en Syrie, la tension dans les banlieues, la stagnation en Europe et la crise dans les BRICS.

C’est un moment compliqué pour les commerçants de la capitale. Dur d’être épicier (les superettes font une concurrence atroce). Dur d’être libraire (les libraires ferment les uns après les autres, face à la commande en ligne, aux chaînes et aux smartphone…). Dur d’être…

Mais de nouveaux « besoins » ne cessent d’être lancés. La loi de Say, comme diraient les manuels : l’offre créé sa demande.

Voici donc le magasin de…popcorn. La salle de spectacle est toute proche ; ça tombe bien. Bien sûr, comme toujours, comme pour les hot dog, comme pour les hambourgers, comme pour les cupcakes et les choux à la crème, on a repensé le concept. Comme à chaque fois, on a décidé de faire autrement. Au final, qu’est-ce qu’on vend. Des choux, des cupcakes, des hot dogs, du popcorn. Oui, mais avec passion… Le débat reste ouvert.

Nous voici devant la vitrine en pleine journée. Vous avez plein de variétés, sucrées ou salées. La base (le maïs) n’est pas un maïs comme les autres. Ici, on réinvente sans cesse, et comme une lessiveuse d’un genre particulier, la gastronomie française a ingéré une spécialité d’ailleurs pour la ressortir à sa sauce. Bien sûr, cette boutique participe à la boboïsation du quartier ; certains diraient la gentrification. Avant, dit-on, à cet emplacement, enfin, il y a fort longtemps, il y avait un pressing terne (un pressing ? mais pourquoi faire… ?!). D’un autre côté, hausse les épaules en opinant le passant, les bobos, ils ne peuvent pas tout conquérir. A force que tout le monde se fasse pousser la barbe, il n’y aura plus de hipsters à distinguer. On fera quelque chose d’autres, ou plutôt, ils vieilliront et les jeunes feront quelque chose de nouveau. En attendant, se dit le passant, en souhaitant leur accorder le bénéfice du doute, essayons les nouveaux popcorns. Dedans, dans un décor néo années 50 (encore un), façon fête foraine, un charmant vendeur et une charmante vendeuse (recrutés ailleurs que dans le quartier ?) attendent au comptoir.

Paris, le 16 mars 2015.

Le magasin de fruits secs

En Californie, les fruits secs c’est un mode de vie : en rando (sachets santé), au petit-déj (granola), enrobé (raisins au yaourt), en vrac (sur le marché de producteurs). En Allemagne aussi, ça se vend au grand public dans une parure sportive, un peu comme si c’était des chaussures Adidas (vous savez, ces paquets jaunes qu’on emmène en montagne…). Le fruit sec, c’est la rencontre du randonneur bio et de l’Iftar. De l’Atlas et de Big Sur. De la tarte pomme amandes et du brunch au soja. C’est là que ça se passe, aux rayons du soleil qui dorent cette denrée de l’avenir (enfin, quand c’est fait à l’ancienne), nourriture des astronautes et des stations spatiales, des Dieux grecs et des Pharaons (on retrouve des figues séchées dans les pyramides), tendance délicieusement chic qui a débarqué dans nos restaurants branchés… Le magasin, lui, n’est pas branché, mais on s’en fout, car les gens qui y entrent le sont. Y a pas de fioriture sur la devanture, la police d’écriture est banale, en fait il n’y a rien d’écrit sur la vitrine. Ici, on n’a pas vraiment de vitrine : elle donne sur les rayons et tout est vendu en vrac.

Le truc avec le fruit sec, c’est qu’il passe partout, l’air de rien, avant de se faire remarquer : sucré, salé (en tarte ou en salade, ou avec le gibier, tout ça – voire le livre de recettes sur le présentoir). Le dimanche, le patron vend au marché, rive gauche, car autrement, il ne fait pas son chiffre.
Il faut voir que s’il a une « base » de clients adeptes, il y en a aussi qui s’y arrêtent, l’occasion d’en faire un goûter. « Ici, pas de pub ni d’emballage, que du bon produit ».

Pour attirer le passant, il multiplie les initiatives. Certes, on a la banane, l’abricot et la figue, mais maintenant, j’ai aussi de la mangue, du kiwi, des airelles, du goji, tiens, goûtez ça, c’est super bon à la santé, comme il dit… (Il est Vosgien, là-bas on dit « à la santé »…) Une dame, convaincue que le fruit sec est l’avenir de sa forme, repart avec une variété de petits sachets en papier. Son fromage blanc ne sera plus jamais le même.

Paris le 8 février 2015

Le magasin de métaphysique

Ici on réfléchit sur soi, précise la fondatrice de cette boutique spécialisée.

De partout on vient ici pour « s’informer ». Il y a de nombreux livres dont certains en vitrine. Tout est regroupé par thème. Le développement personnel est d’un côté. Les livres de tarot, de l’autre, avec les jeux : le Marseille, le Jodorowsky. Au milieu, une grande table où l’on trouve de tout ; des ouvrages sur les plantes ; des ouvrages sur le corps ; des agendas ; de petits cadeaux (artisanat, petites cassettes). C’est à mi-chemin entre un magasin de nature et un magasin d’objets de voyance, avec un brin de déco et de bijouterie.

Justement, on trouve au fond une collection de pierres précieuses indexées et rangées dans de petites boîtes, avec des étiquettes qui rappellent leurs propriétés. Au-dessus, sur le mur on a accroché des colliers, très beaux, aux motifs de la terre et de savoirs ancestraux qu’on essaie de retrouver ici. Il y a aussi des boucles d’oreilles, de toutes parures de pierre, de métal et de bois. Ne demandez pas le sens de l’achalandage ; c’est organisé selon un ordre intuitif. Ceci vous stimule : allez chercher votre voix intérieure. Là, des pendules et des ouvrages de radiesthésie. Ici, un peu d’herboristerie. Là, des informations sur l’acuponcture. Plus loin, les religions du monde et leurs bienfaits respectifs. A ma droite, les CD de musique relaxante, celle des peuples premiers.

Ici, se tiennent des ateliers. C’est un lieu qui fait du lien. C’est un endroit où l’on vient se retrouver, échanger, initier une démarche. La ligne est ouverte, on ne professe rien de particulier, contrairement à ce que vous pourriez croire. La patronne du lieu défend seulement, suggère-t-elle, une introspection.

Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer dans ce lieu ? Au départ, c’est peut-être la curiosité ; ou les cartes postales ; ou le livre sur le sexe tantrique. Dedans, c’est autre chose : il y a, somme toute, une grande variété, un grand éclectisme. Vous vous sentez un peu perdu, mais est-ce que c’est la boutique qui révèle ou la vie que vous menez qui vous y conduit ? C’est la discussion avec cette dame un peu illuminée qui vous a confié une amulette. Portez-la, la nuit. Je me demande bien pourquoi je suis rentré, se dit le badaud, qui va à la boulangerie en face, mais en même temps, c’était marrant. Tu es allé chez les fous ? demande sa mère l’air hilare. Ils ne sont pas fous, y a des trucs à regarder. T’es entré dans une secte ? lui a demandé sa mère pendant qu’il lit le livre sur la chiromancie. Mais non, c’est juste pour savoir.

Paris, le 14 décembre 2014.

Le photographe

Peu de personnes passent la porte. On a connu de meilleurs jours. C’est drôle comme tout a basculé, pense le patron à voix haute en fumant sa cigarette. Fin des années 90, on pensait tenir le bon bout. Et on introduisait toujours de nouvelles innovations. J’ai connu l’arrivée en masse de la couleur ; j’ai connu une activité foisonnante.

Maintenant, ce sont essentiellement des photos d’identité et des agrandissements. On vend aussi des caméras et des flash, plein de matériel. Du numérique. Ca permet de compléter les revenus de la boutique. Là où avant les gens venaient pour le développement, ils viennent maintenant pour leurs propres besoins. Ce qu’on a perdu par un côté, on penserait le récupérer ailleurs, puisque maintenant désormais tout le monde est photographe, et tout le monde développe. Quel paradoxe qu’on fasse encore les photos d’identité ! C’est une activité rescapée comme les cafetières italiennes au pays de Nespresso. Et les photos de groupe, de famille.

Pour compléter surtout, le patron fait des mariages. J’en faisais avant, mais depuis dix ans, c’est 40% de mon chiffre d’affaires. Les murs sont pleins de portraits réussis, les vitrines de mariés. Ca ça ne bouge pas. Dans les années quarante à Strasbourg, mes grands-parents sont restés trois ans en vitrine. En noir et blanc.

Le papier Ilford, l’odeur prégnante et chimique de la chambre noire… Tout ça,  c’était beau, et ça devient rare. Tout le monde est passé au numérique. Quand Kodak a annoncé qu’ils arrêtaient la recherche en argentique, ça a été un choc.

La boutique est simple, en fait ; pas beaucoup de place pour manœuvrer. Il y a une vitrine simple et transparente où sont exposés, à hauteur de jambe, des appareils, des cadres et de jeunes couples. Dedans, le comptoir qui fait toute la longueur du magasin. Au comptoir, le patron. Au-dessus de nos têtes, les portraits. Derrière, des machines complexes, surtout de quoi imprimer. A gauche, des lampes de studio et un fond blanc, une sorte de drap. Au sol, une moquette grise qui a vu de meilleurs jours mais qui résiste vaillamment. Ils doivent avoir la même au siège de Toshiba. Voilà, c’est résumé. Itunes, et des tubes de rock années 80 (l’époque où ces mecs gothiques ne faisaient pas encore des balades…., et où la photo était différente). Quelques clichés de safari (le patron est allé au Kenya l’an passé).

On va s’en sortir, répète-t-il à ses clients fidèles. Il faut passer le cap.

Paris, le 7 décembre 2014.

A Jennifer Huxta, à mes amis photographes.

A Fermin Reygadas, pour l’appareil photo, il y a longtemps.

A Janet Delaney, pour le réveil de nos regards.

Le magasin de prothèses auditives

Trop de boums, trop de concerts, trop de surprise parties, trop de soirées, trop de raves, ou bien trop de marteau piqueur… trop de cris après les enfants, trop piaillé face à son épouse ou conjoint, trop bramé sur le terrain de foot. Trop, …, dit-on aux ados. Trop tiré, trop fait la guerre, trop roulé sa bosse sur les circuits de rallye, écouté la musique à fond, AC DC, NTM, Nirvana, Beyoncé, ce que vous voudrez, le résultat est le même : nous voici au magasin de prothèses auditives.

            Moi qui n’ai jamais porté de lunettes, j’ai les deux d’un coup.

         —Vous verrez, Monsieur, ça ne se voit même pas. Puis d’un voilà doux et réconfortant, d’accompagner la  première pose. Ca se porte très facilement, en plus.

Scène quotidienne au magasin de prothèses. On en voit de tous les âges, pas que des vieux, et vous savez, on en voit de plus en plus jeune. Prenez garde mortels, votre ouïe ne reviendra pas.

Dedans, on est comme au salon, comme dans ces nouveaux espaces commerciaux où l’on vend des téléphones. On ne sait pas très bien s’il faut attendre, et à qui se présenter. On vient vers vous.

Les machines sont toutes petites. On croirait des émetteurs issus de films de science fiction. C’est avec ça que les aliens m’ont suivi et recapturé, diront-ils sur Fox en prime time. Placé derrière l’oreille, on ne le remarquerait que sur l’oreiller ; et de loin, il semble dédoubler le lobe, étrangement, mais pas assez clairement pour qu’on le distingue. C’est comme une greffe artificielle… Etape de la transhumanisation à venir de notre espèce ?

Peu importe la philosophie, vous diront les médecins, balayant ça d’un revers de la main, ORL et compagnie… vous avez envie d’entendre ? ça donne quand même de beaux résultats. Alors nous y voici, encore une fois.

La vitrine est accueillante, apaisante. Elle présente des bleus clairs (c’est le côté médical), et des violets doux. Essais gratuits. On a parcouru un certain chemin avant de passer la porte ; d’ailleurs souvent on n’en a parcouru aucun puisque ce sont les enfants qui viennent se renseigner pour leurs parents. Vous croyez que ça pourrait lui aller ? ah oui, ça c’est discret, il l’accepterait. Faire accepter au vieux que plus personne ne peut lui parler, et qu’il nous casse les oreilles au combiné. Faudrait pas qu’on finisse ici, nous aussi.

Paris, le 16 novembre 2014.

Le magasin de parapluies

« Parapluies et cannes, oui. Mais oui, passez à l’heure que vous voulez, Monsieur ! »

C’est ainsi qu’on reçoit ici, dans ce magasin, au téléphone, avant même que l’on vienne. Tout pour le client, c’est ce qu’on aime à dire. Les objets que l’on commercialise ici sont importants : les cannes servent à nombre de personnes infirmes ou temporairement ou de façon permanente, et pour cela, il faut être prêt à faire des efforts, car leur démarche est rendue difficile par la gêne qu’ils éprouvent à marcher. D’autre part, on se plaît à dire, dans ce décor dix-neuvième, derrière les vitrines gravées en lettres dorées à la manière d’autrefois, que l’on est dans un temple du luxe, mais d’un luxe subtil et élégant, presque caché.

Tant mieux pour nous, ronronne dans sa barbe le client ou le patron lui-même, en se caressant le bout des moustaches, et une barbiche qui paraît sortir de Balzac. Les cannes sont protéiformes ; elles sont couronnées de têtes de chien ou de chat, de cerf, généralement d’animaux masculins car pour une raison obscure on assimile la canne à l’homme là où les femmes en portent aussi. Tous ces bâtons sont regroupés, debout et en faisceaux, sur des présentoirs à droite et à gauche du magasin, qui est un vaste couloir en L, où l’on entre et où l’on déambule avant de tourner à droite, et de faire face à un comptoir où l’on peut se mirer dans la glace pendue au mur. Les miroirs sont partout, de toutes parts, sur presque tous les murs, et à hauteur de pied déjà jusqu’au plafond ; ainsi, on peut s’admirer, contempler sa démarche auguste.

Ailleurs, mais pas en un endroit précis ; un peu partout, à vrai dire : on trouve les parapluies. Avec les têtes d’animaux, ils forment des totems habillés, de petites colonnes, habillées façon Christo. On trouve aussi des pierres, des cristaux, des boules, au bout des anses. Les robes des parapluies rassemblées sont comme un étal de soieries : du rouge bordeaux et du vert foncé le plus élégant à des motifs à pois roses, voire à cœurs. Des fleurs de lys pour les plus ultra. Le tout se dispense mais ne s’essaie pas. On n’ouvre rien dans la boutique, c’est un principe ancien et cela porte malheur. On vend, en revanche, plein de tailles différentes, et l’on est indulgent avec les clients qui veulent essayer sur le trottoir ; personne n’est jamais parti sans payer. De toute façon, remarque-t-on au fil des années, le décor opère une sorte d’antisélection et filtre les bons parmi les passants. Et puis, on a nombre de clients fidèles, qui reviennent depuis des années, et qui initient leurs enfants, lesquels reviennent encore éprouver les lates anciennes et souvent cirées du plancher de bois, couleur dorée, comme tout ce qui se trouve ici ; que ce soit le bronze, le bois ou encore les différents éléments de décoration que l’on a gardé au fil du temps. Quelques parasols beige, blanc et pastels, rarement vendus mais jolis comme tout, en bois et en dentelle, rappellent le passage des années et tentent les nostalgiques.

Le changement climatique, les étés pourris ; c’est bon pour les affaires ! plaisante le vendeur-en-chef avec le patron, car on est de plus en plus mouillé.

 

Paris le 24 août 2014.

 

La boutique éphémère

Le client est peut-être roi, mais ici, il vient d’abord voir ce qu’on a à lui montrer. Le magasin est né d’une rencontre, a écrit la journaliste dans la presse branchée, entre un cuisinier passionné d’exploration, deux artistes et une designer, et une « joyeuse bande » de collectionneurs, de penseurs, d’ « urbains ». Le résultat est là : une vitrine qui montre des bleus de travail, un environnement en béton qui vous invite à venir découvrir. Dedans, l’espace est pensé comme une galerie : c’est quoi ce truc…            « J’ai voulu explorer un univers nouveau », a dit Cynthia, la conceptrice des lieux, à Paris Renouvelé. « Montrer que la consommation et la connaissance pouvaient se mélanger, se féconder. » Et c’est chose faite : vous pouvez déguster des aliments asiatiques et choisir un livre pour votre esprit plus ou moins bien éclairé. On veut montrer l’esprit des temps a noté un bloggeur avide de tendances, après sa visite. C’est un commentaire social, un essai satirique tout autant qu’une entreprise commerciale. On n’en ressort pas indemne. Le porte-feuille l’est tout à fait, pourtant, après une visite vierge de tout achat. Si tous les magasins étaient comme ceux-ci, pense le badaud entré par erreur ou curiosité, je n’aurais pas besoin d’acheter autant. A vrai dire, je n’achèterais pas… La boutique est tout en enfilade : à gauche, des vitrines et des frigos, qui vous vendent des produits soigneusement choisis, plus sélectifs qu’au Monoprix gourmet, plus rares qu’à Grande épicerie : ils sont bons pour la santé, ils sont un peu exotiques, ils sont surprenants, ils sont à la mode. A droite, les livres, les DVD, les biens culturels, pour montrer qu’on s’affilie, qu’on sait où l’on se dresse, à quel camp on appartient, à quelle classe on se rallie. C’est Sonia Rykiel, qui, boulevard Saint Germain, a été une des premières à mettre des livres en vitrine ; rappel des lieux, rappel de ce qu’elle savait lire. Ici aussi, on s’y retrouve, on sait, on lit, on n’en parle pas, mais on affiche. Des vêtements décoratifs sur les murs montrent comment pourrait être la mode si on la suivait jusq’au bout ; les vendeurs (si telle est leur appellation) s’efforcent d’être mannequins. Des téléviseurs, des vidéo d’art, de la musique électronique mais artistique, tout ça est réuni, et dans le vide laissé par l’absence de marchandise, vous vous interrogerez sûrement : Qui suis-je ? Pourquoi consommer ? Etc.

On règle près des vitrines. N’oubliez pas d’en parler autour de vous.

Paris-Londres, 7 avril 2014.

 

Aux articles de danse

La vitrine tient en plusieurs pendants ; à droite, des robes ; à gauche, des articles de danse classique ; au centre, des casiers à chaussures, présentant toute une variété : ballerines, chaussures de flamenco, chaussures à talon, chaussures à claquettes… et à travers les casiers, on aperçoit l’intérieur de la boutique.

Ici on fait de toute : ballet, danse moderne, fitness, peut-être un jour du hip hop ? Les vitrines sont rétro, ainsi que les typographie très années 80. Mais ça n’a aucune importance. Ici c’est le lieu de la passion ! n’entrez pas si vous n’êtes pas intéressé. Très féminin, certes, mais ça n’a rien d’exclusif ; c’est simplement la clientèle qui veut ça. Deux trois miroirs ; des ballerines au fond, tout au long d’une énorme planche de trois mètres de long (Ne vous servez pas vous-même ! indique un écriteau) ; à gauche, des portants, des tutu, des robes ; au milieu, un vaste portant avec des habits de danse moderne, de l’activewear, comme on dit ; de l’autre côté vers le fond, encore des tutus, et à droite de l’entrée, des accessoires en tous genre dispersés autour de l’alcôve où officie la patronne depuis trente ans. Des accessoires, dis-je ? Des chouchous pour les cheveux, des bandeaux, des choses utiles pour les pieds, pour les jambes, de la poudre, des nécessaires divers.

Partout, elle a dispersé des livres : Pina Bausch, Noureev, Alvin Ailey… Ils sont tous là. Au mur, vers le haut, en frise, juste en-dessous du plafond, il y a des photos autographiées. Leur esprit hante le lieu. Un jour Pina Bausch a été une de ces petites filles qui hésitent à se regarder en tutu dans la glace ; qui rient de voir leur frère ou copain en habit de danseur, qui se regardent toute neuves et toute différentes devant le regard fier des parents. Ou une de ces ados qui viennent après l’école un lourd sac sur le dos, en attendant de pouvoir décrocher enfin des cours et de faire sport-études ou d’aller au conservatoire. La patronne les encourage toujours. La passion mène toujours quelque part, même si on ne finit pas sur scène. Regardez-moi, dit-elle en riant, j’ai fait de la danse à votre âge, et je suis heureuse, et pourtant, je ne suis pas Aurélie Dupont ! Et puis j’ai voyagé, et j’ai rencontré l’homme de ma vie, hélas il est mort…

Il y a quelques éléments qui auraient besoin d’une rénovation, les vieux néons (ça fatigue les yeux), la peinture (j’ai arrêté de fumer, dit la dame, mais bon, il reste les traces, et elle s’en excuse), ce vieux carrelage dégueulasse surtout. C’est une honte pour de petites ballerines !

Il y a aussi les profs. Elles viennent et font le lien avec les élèves et les parents, se mettent d’accord sur les fournitures. Et puis, pas loin, il y a le conservatoire, et les élèves, qui viennent tout le temps s’approvisionner. Les élèves bénéficient d’un prix. Ici, c’est le poste éloigné de la civilisation de la danse ; la conscience de l’humanité. Dans chaque être qui se meut sur une scène pour ses proches et ses pairs, il y a la mémoire de l’humanité, un rêve… Et c’est ici que ça commence, dans le nylon, le plastique rose et les robes de flamenco qu’on aperçoit dans la vitrine droite (60€, pas chères en plus).

Paris, le 24 février 2014.

Aux équipements roulants

Savez-vous vraiment, lorsque vous téléphonez, tapotez sur votre ordinateur, voyagez, que rien de tout cela ne serait possible sans la roue ? Avez-vous goûté récemment à ce plaisir magnifique de rouler quelque chose, d’observer un rond qui tourne, ou de vous rouler par terre ? Prenez une chose ronde, et faites-la tourner. Admirez, songez à ce que nous avons accompli depuis cinq ou dix mille ans. Regardez autour de vous, et revenez à cela : un enfant qui fait tourner une roue à l’aide d’un bâton ou de ses seules mains ; cela se pratique encore. Avez-vous su, avez-vous pensé à votre chance aujourd’hui ?

Il se vend encore des roues en des endroits spécialisés. Au magasin, on se spécialise dans la commercialisation de tout instrument, appareil ou outil qu’une roue permet de faire fonctionner à merveille. La roue est une magie. La roue est une possibilité, un monde qui s’ouvre, une reproduction miniature de la Terre que vous allez porter comme Atlas.

Trouvez dans ce magasin, aux reflets chromés, à la senteur métallique, aux graisses d’huilage, et au trébuchement fatal, une forme de bonheur des formes et du mouvement.  Poulis, outils à rouler, choses qui tournent… De nombreuses étagères vous proposent des roues de livraison en plusieurs dimensions, des roulements à billes, des manivelles… Ne faites rien tomber. On veut éviter les accidents, et certaines de ces machines sont vraiment lourdes. La vitrine annonce déjà la couleur : toute une gamme de diables de livraison, avec des roues et des tons variés qui épousent votre fantaisie. Tout le déploiement de la géniale invention est ici sous nos yeux. Dans l’industrie, dans la rue, voyez-la à l’œuvre : tant de choses à faire rouler, regardez les livreurs. Mais où se procurent-ils ces outils ? C’est ici ; c’est le magasin maître, celui sans lequel rien ne serait achalandé car rien n’arriverait à temps. Pensez au progrès que cela permet ; songez que dans l’offrande de vos gaufrettes à votre main acheteuse, la roue y est pour quelque chose. Partout, voyez sa marque ; partout, voyez sa trace, la roue de charrue et le pneu continuent de faire leur empreinte. Quand on en revient à la roue, il y a comme une forme d’égalité des humains ; où qu’on soit, on recourt aux mêmes outils et ce depuis longtemps. Hier, certes, nous n’avions pas tous ces boutons rouges et verts, nous ne sur-, sous-élevions pas nos chariots. Hier, les fauteuils roulants ne pouvaient se réassembler pour vous faire grandir en taille. Ils ne ronronnaient pas dans les bois, pour vous permettre de promener votre chien. Mais la roue reste la roue, la roue reste la roue, reste, la roue, la roue…

Paris le 2 octobre 2013.

 

A mes amis d’EELV.

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