Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Mois : octobre, 2012

Guitares électriques

Ca y est la barbe est à la mode, mais plus les cheveux longs. Ca n’a pas d’importance ; ici Steven Tyler d’Aerosmith a toujours quarante ans à peine. INXS, Iron Maiden, etc., c’est par ici que ça passe, à Paris. Vive La Fête. Pussy Riot (libérez-les). Ah oui. Ramstein. C’est aussi un château en Alsace.

C’est la boutique des guitares électriques. Elles pendent des murs, comme elles pendront de vos épaules, comme des fusils, longs rifles. Ca devient dur à casser en concert. C’est blanc, noir, rouge, des formes incroyables ; comme un dessin d’extraterrestre. Les murs sont en brique, et sur cette toile de fond, certaines des guitares ressemblent à des armes de science fiction, disais-je, à des avions furtifs, à des drones. Noir, rouge métallique, vert turquoise années 50, jaune canari branché, marron couleur de bois. Forme gothique, forme classique style LA 1959. La quintessence du design, c’est pas chez le fabricant de haut-parleurs danois, c’est ici, en terre californienne. Quelques mètres de Californie dans la grisaille européenne, un gars aux cheveux longs qui est sympa sans sourire (comment fait-il ?), et un voyage vestimentaire dans le tourbillon de la fin du XXième siècle : jeans troués, t-shirts à squelettes, look grunge, look néo-sixties, look skater, look, look, look….

Un sol en béton poli ; on va pas s’embarrasser, mais c’est bien pensé. Ca pourrait vous rappeler le magasin de motos. C’est le même type d’achat. Parfois, les mêmes montants à quatre chiffres. Enfin presque.

Comme c’est un lieu d’habitués, au comptoir la conversation prédomine. Les galères, le loyer, la dernière relation, ce que fera X après sa dernière démission. L’étranger qui pénètre dans la boutique est forcément un semblable. Il est un peu comme vous, un peu comme moi, il joue, il aime le son ; il aimerait peut-être percer aussi. C’est pour ça qu’on le tutoie. Ibanez, Ibanez, Ibanez, la grande marque de guitares, on l’a. Y a aussi les amplis, les multiples gadgets de la musique électrifiée, les pédales, les prises. Les amplis. Les amplis. Les amplis. Je répète parce qu’il y a des couleurs, des styles différents. L’ampli marron et jaune, style 60s, comme quelques guitares qu’on a oublié d’énumérer… L’ampli orange. L’ampli noir, le classique. Vous croyez que vous savez ? Vous ne savez rien. Passez devant la vitrine alors, ne vous arrêtez pas, mais demandez-vous si ce que vous écoutez, c’est vraiment du son ; de la musique ; de la mélodie. OK, convient le hard rockeur, parfois on lui pose la même question. Qui est-on pour dire ; les goûts et les couleurs…

Retour au magasin. Dedans, vous avez aussi le catalogue. Dans le catalogue, de célèbres chanteurs posent avec « leur » guitare. L’une ressemble à Courtney Love (la veuve de Kurt Cobain, vous savez, Nirvana). L’autre porte un masque de tête de mort. Dans cet univers fantasmatique, c’est la force masculine, subvertie par le maquillage, les cheveux longs et les masques ; un univers de musiciens, de passionnés ; de technique ; de gamins qui vident leurs économies pour s’acheter ce truc et passer des heures à essayer, avant. Les filles chantent aussi, elles jouent, elles prennent des risques, c’est pas la question, confère les Pussy Riot. Dans un garage, un appart’, un HLM, plus d’un conflit de voisinage, rébellion et guerre familiale, tout ça existe ; pourquoi cela devrait-il forcément mal finir ?

La guitare électrique, c’est comme le saxo, ça reviendra dans le mainstream (si vous dites que ça y est déjà, je me tais) mais en attendant nous on se porte pas plus mal.

En Finlande, dans les films de Kaurismäki, la guitare électrique fait partie de la culture populaire. Ici, comment ne pas se demander : se maquiller, faire du bruit, faire de la musique avec du bruit, que vous appelez bruit, c’est peut-être un signe de civilisation.

Paris, le 29 octobre 2012. 

A tous les gars et les filles de la Rue de Douai,

A  V., qui aimait bien mes « magasins ».

Le pressing

Tourne, tourne, tourne le tambour. Pour le client au comptoir, qui attend un peu, c’est comme une pendule. Dit-elle l’avenir ? En tout cas elle le ralentit, pendant que sur une chaîne qui tourne autour de notre tête les chemises, robes, pantalons, pulls, tant de couleurs et de textures, comme autant de personnages de textile, de fantômes coloriés, de torchons pressés, valsent pour trouver la commande.

Les taches indélébiles ne sont pas assurées, pas plus que les boutons. Derrière, la vapeur et le labeur de femmes et d’hommes est visible. Ils sont tout à la tâche ; leurs mains sont musclées à force de plier, repasser. Dans ce pressing tout est fait sur place, sauf certains articles un peu complexes (tapis, par exemple), mais on loue un vaporetto à ceux qui en auraient besoin.

La couleur dominante, ici, c’est le blanc. Tant les machines que les murs, que le comptoir qu’on essuie décidément pour qu’il conserve son polaire luisant originel. Le blanc, c’est la couleur du propre. La couleur de la mort aussi, dans certaines cultures, mais une mort propre. Dans les années 2000, c’était la couleur de la technologie, des Apple machins. Maintenant c’est une couleur de calotte polaire menacée, de nuage radioactif, mais ce sera toujours la couleur du propre.

Les réclames disent que lorsque mes enfants sont rentrés sales du foot, etc., Maman a su me recommander Omo, et la tache part comme par magie. Mais disons-le, la réalité n’est pas toujours si belle, et quand il faut déléguer, donner à autrui, et quand il faut un bouc-émissaire, désigner un incapable, il y a le pressing. Mais même avec tout ce mauvais esprit, parfois ils rattrapent vraiment l’affaire. Plus d’une chemise à Papa, plus d’un drap de grand-mère rattrapé ici, et pourtant, si on racontait ces histoires au lieu de n’avoir que les grincements et les grimaces, les grognons…

La musique passe, d’une radio années 80, elle tient le coup, pas de raison d’en changer. Musique aussi, années 80 (« Cherchez le garçon », Steph de Monac’, Bashung, Souchon). Le personnel tourne pas mal, mais il y a quelques piliers. Une dame, grand-mère depuis peu. Un jeune homme qui ne fait pas de bruit, ça fait déjà quatre ans. La patronne aime bien les imprimés, c’est une petite rousse. Elle aime bien les clients aussi, mais pas les râleurs. Et les gens qui paient par avance sans râler. Les charges sont lourdes, il y en a de plus en plus. On ouvre tôt : 7h30, et on ferme à 19h30. C’est le service. Derrière le comptoir, derrière la machine à tombour et le machin qui tourne, des centrales, des explosions et des poussées de vapeur. On se croirait en Islande, dans une usine. Temps modernes. Peut-être tout ce qu’il restera de l’industrie française. Des humains qui causent les éruptions ou les jugulent, au fond je ne sais pas trop, depuis le comptoir, en attendant mon pantalon. Chemise ou pantalon ; plié ou sur cintre… Les cintres métalliques, d’où viennent-ils ? Ici il y a encore ces cintres en bois, ceux qu’on n’arrive jamais à réutiliser chez soi, parce que le tissu du pantalon glisse. D’ailleurs ils les reprennent.

Des paniers à linge… Quand on donne son vêtement, il part à l’arrière, dans une chaîne incompréhensible. C’est comme donner son enfant à garder dans une usine.

Parfois, il y a un toutou derrière la vitrine, un bichon maltais qui dort ; mais il ne va jamais derrière le comptoir avec ses poils. Il a compris.

Paris, le 20 octobre 2012.

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Le caviste

Le caviste du quartier affiche ses prix avantageux et promotions dans les vitrines, sur des cartons jaunes. Pourtant, malgré les apparences, ce n’est pas une maison de promotion. Pour les connaisseurs de vin, cette franc-maçonnerie du verre à pied, c’est un trésor en rayons. Ici, trouvez les Bourgogne que les grandes surfaces ne connaissent même pas. Trouvez les Alsace que d’autres ne savent prononcer. Trouvez les Sud-Af, les Chiliens, et les Californiens.

N’entrez pas avec un sac à dos. Attention aux poussettes. C’est du verre, et ça peut tomber, et cela non seulement vous assommera, mais vous enivrera. Evitons les accidents. Dedans, il y a du bois partout. Du bois et du verre, matériaux hérités du passé. Le marchand de vin est un marchand de siècles, d’histoire, de terroir, des éléments. Un comptoir de vins n’a pas tant changé au fil du temps, seule a disparu la barque ou les chariots qui venaient décharger leur cargaison. Soit dit en passant, se faire livrer est de plus en plus compliqué. Une piste cyclable borde l’avenue.

Les caisses donnent une allure forestière, portuaire à l’endroit. Rien d’étonnant, car si l’on songe au passé des grands vins, Porto, Bordeaux, Alsace, Rhône…tout cela était exporté par voie fluviale ou maritime.

Rouge sur blanc, c’est bien connu, tout fout le camp, alors achetez l’ouvre-bouteille. Comme dans la grande chaîne du prénom ex-présidentiel, ici on vend des accessoires. L’accessoire, comme dans la mode, ça rapporte. Il y en a à la caisse et disséminés entre les bouteilles. Deux trois magnum, figure imposée. Quelques liqueurs, quelques eaux de vie, mais ici, dans l’ensemble, c’est le vin.

Le vin c’est une culture, c’est une noblesse. Produire du vin, avoir des vignes, c’est une façon moderne d’avoir des terres. Et en France, même dans la France tricolore, les gens de vin, noblesse française qui ne dit pas son nom, sont bien vus. C’est aussi le cas aux Etats-Unis, en Australie, partout, les viticulteurs sont élégants, passionnés, aventuriers de la terre et poètes à sécateur, proches de la terre. Ils posent dans les magazines. Le vin déroge aux règles égalitaires. Ils défrichent. Connaissez-vous les vins du Nouveau-Brunswick ? Ils nous font découvrir les cépages, les vignobles, les terroirs méconnus. Le vin d’Arbois—le Jura—. Le vin de Charente, non, l’autre. Etc.

Les vins bio montent un peu, mais ils souffrent de leur mauvaise réputation.

Qu’on se souvienne de la piquette, du vin plâtré d’autrefois ; tout ça existe toujours mais on n’est pas en concurrence. Ici on préfère moins mais mieux. On préfère mieux mais moins. On veut du nez, du chien, de la robe et de la note. Tant de métaphores, féminines, horticoles, musicales, corporelles. Le vin c’est le sang du Christ, aussi. C’est tant de choses. Bonne humeur. Ivresse, et désespoir. Alors le magasin de vins contient tout cela. Quand vous voyez la vitrine, vous ne voyez pas la vitrine. Mille souvenirs s’entassent en votre esprit, Français moyen. Du coup, les cartons jaunes n’ont pas d’importance ; quoi le foot, qui a parlé de foot ? Les grands négociants sont forcément grands, et les grands vins sont forcément grands ; il y a un reste impérial dans le vin de France.

Avec le réchauffement climatique, demandez-vous, à quand le vin d’Ecosse ? de Danemark ? du Kamchatka ? La ligne du vin remonte, paraît-il. Mais c’est aussi une question d’inclinaison des collines, au soleil, confère l’Alsace. Les Allemands aussi font du très bon vin. Connaissez-vous le Eiswein ? On en aimerait presque la langue allemande en France ; l’amour pour la Germanie ne reviendra peut-être pas par Merkel ou par l’acquis de la paix, mais par le vin, mais alors cet amour-là n’est pas produit en quantité suffisante. Produisez ! Justement, en Champagne, le vignoble s’agrandit, et de cela il faut se méfier. En Alsace, on a arraché des vergers par crainte de la Commission européenne, toujours elle ! qui voulait interdire les réaffectations de terres en vignoble, soi-disant. Oui tout cela a un impact sur le magasin, explique le patron au tablier beige impeccable, chemise noire ou marron de belle griffe, lunettes bien essuyées. Quand on voit ce qu’on fait avec tous ces règlements…

Quelques clients étrangers, qui viennent chaque année ; dans l’ensemble, les gens du quartier. Les prix sont pour tous, il y a du cher, et il y a de l’abordable. Sauver les vins de France ? C’est ce qu’on fait. Mais le vin d’ailleurs soutient aussi le vin de France, plus on boit, plus on en boira.

Paris, 14 octobre 2012.

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Le magasin de service

Au Québec on appelle cela un dépanneur, apprend-on au Trivial Pursuit ; cela tombe bien, c’est aussi une station service. Ici le magasin de la station service. On est en ville, sur un boulevard, quartier chic. Officiel, même. Cet endroit n’a pas la même fonction que la petite boutique de bord de route, au milieu d’une campagne. Du moins en principe, car elle vous secourra à deux heures du matin tout de même, si vous avez envie d’un sandwich ou d’un paquet de gâteaux mal avisé.

Le jour, on vend ici : de l’essence, de la bouteille d’eau, du brownie industriel, des chips, du jambon-fromage au pain d’usine. Pas la peine de demander la lune, si vous préférez, il y a une boulangerie de l’autre côté du carrefour. Les étudiants ont vu le prix, et viennent s’approvisionner au détriment des campagnes fruits et légumes. D’ailleurs on vend des pommes. Le frais arrive dans les stations service ; les magasins ressemblent de plus en plus à des superettes citadines. D’ailleurs, par ici il n’y a pas d’épicier « arabe » ; c’est ici qu’il faut venir pour le yaourt du petit matin. Les employés travaillent de jour ou de nuit, il y en a plusieurs qui se relaient ; ici on est ouvert tout le temps.

Ca sent l’essence. La lumière : du néon. Mais au milieu de la nuit, c’est incomparablement poétique. L’employé veilleur de nuit, qui n’a jamais travaillé de jour, aime ce calme, cette volupté du silence. Il a été chauffeur de taxi, réceptionniste, veilleur dans un hôtel. Les gens qui passent sont des personnages : seuls, ils le sont davantage, car ils tranchent, montrent l’exceptionnel dans l’humain ; de chaque homme, de chaque femme. Chaque être solitaire qui se présente ici, à quatre heures, à trois heures, à deux heures trente, sur un fond de lumière grise, a une histoire ; surtout en semaine, moins le samedi soir. Le samedi soir, c’est la prolongation de la semaine ; le négatif d’une journée. On vient en groupe, on nargue, on abîme, on blague, on sourit, on vomit. Tout un bazar. Non, le véritable soir c’est la nuit de semaine. Rien de tel qu’un lundi à 2 heures, un mardi à 3.

Faut-il fermer les stations services en ville ? De beaux immeubles entourent les lieux : et si ça explosait ? Certaines grand-mère regardent trop de films…

Cela gêne les piétons.

Et s’il y avait un jardin ?

Qu’est-ce qu’on fera quand ils vendront, se demande le motard (il y a tant de motards)…

Le diesel est cancérigène…

Se rencontre-t-on ici ? Plus d’un célibataire dépité l’a espéré, une nuit, en venant chercher du Coca.

Peut-on faire vérifier ses pneus ? On n’est pas à Vesoul, pense-t-on, le service c’est fini. A l’intérieur, on explique au comptoir que c’est ça qui fait la différence : le service.

Les frigos à porte vitrée se côtoient et vous regardent en banc d’église. Ici, sur le carrelage gris, au point de Mercure, salut du voyageur, tout est possible.

 

 

Paris, le 7 octobre 2012.

A David Valence.

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L’Apple Store

 

Le dernier truc est arrivé. Comme à chaque fois, tout le monde va faire la queue. Des héros auto-proclamés de la marque dormiront devant le magasin pendant trois nuits, dans un esprit de camaraderie dont l’idiotie finit s’effacer dans l’expérience collective. Une prise va changer, un nouveau gadget permettant d’ouvrir le garage à distance ; on pourra désormais téléguider son chien en promenade, à l’aide d’une puce qu’il faut lui implanter dans le cerveau. Certes, cela a changé le monde ; certes on lit, on écrit même des blogs sur ces appareils ! cependant le passant soupire à la vue des fans. Fan, c’est un état d’esprit ; Hollywood a été visionnaire, maintenant c’est le lot de tout le monde. Un jour fan remplacera ami, frère, sœur : on sera fan de ses parents, de son professeur, d’ailleurs, on l’est déjà : fan de— tartes, pizzas, mixer, film, ou chanteuse.

A la place d’un vieux théâtre, dans la galerie marchande d’un grand musée, ou sous un carrefour central, on a creusé, aménagé, et un jour est arrivé l’Apple Store. Ce n’est pas rien, l’Apple Store : la Terre en compte peu. Cet espace à pomme blanche et à murs blancs est un monde à lui tout seul. Le magasin est si semblable d’un lieu à l’autre qu’on croirait entrer dans celui de Tokyo via le couloir qui mène aux toilettes. Au fond, je ne sais pas où on est. On est dans le Store. C’est le coup de génie du fondateur décédé. Le Store. C’est ici que les inconditionnels d’une ancienne marque alternative viennent trouver leur Source. Que les étudiants qui font le énième exposé sur le marketing de la pomme viennent prendre des photos et interroger les vendeurs excédés, sourds (le bruit au magasin de Manhattan est terrible), mais souriants. Bosser ici, c’est quelque chose ; un centre névralgique, une commanderie. Click-to-mortar, vous pouvez acheter en ligne ou ici, vous pouvez regarder ici et acheter en ligne, vous pouvez parcourir, consulter vos mails. C’est beaucoup plus qu’un magasin. C’est toute une expérience… Apple n’est pas le seul Store : aux Champs Elysées, trouvez le Citroën Store, le Nespresso Store, le XXX Store. Si vous êtes une marque, il vous faut votre Store. Des décennies après le Disney Store. Si j’étais Kleenex, j’ouvrirais un Store. Où est le commerce là-dedans ? Partout et nulle part. Partout, car tout se vend, même le concept. D’ailleurs, c’est lui la première marchandise. Nulle part, car la vente est secondaire, au fond, ce qui importe c’est le concept. Le design, l’ergonomie. Le message. Plus il est fort plus vous êtes fort. Un tour de force : prendre une pomme pour emblème. D’autres choisissent une couleur. Mesdames, Messieurs, chérissez vos légumes, vos betteraves, courgettes et céleris-raves : un jour ils seront peut-être les logos d’une marque ; l’enseigne d’un Store. Comment dit-on, maintenant, Apple Pie ?

Dedans, le sourire est de mise. Quand vous achetez un ordinateur, on vous dit bienvenue dans l’univers, on vous tutoie ; c’est entrer en religion, c’est entrer en action ; c’est entrer dans la prochaine dimension, dans l’avenir… ou déjà dans le passé. Il y a quelque chose de tragique dans chaque achat technologique. A peine acquis, il est déjà dépassé. D’où le besoin d’avoir le prochain avant les autres ; le dernier avant les premiers. Les hommes adultes qui font la file devant la vitrine étaient-ils les enfants qui se battaient pour la dernière console hier ? Ceux dont le cœur palpitait lorsque la nouvelle console les attendait au pied de l’arbre de Noël, à Hannouca ou à la fin de Ramadan ? Ceux que les parents accompagnaient au magasin pour leur anniversaire, déjà dans des Store, chez FAO Schwarz, Toys’R’Us, Jouet Club, ou que sais-je, qui rentraient avec la précieuse machine sous le bras, prêts à en découdre, à attirer les copains, puis qui s’en lassaient ? C’est une boucle inépuisable, une roue de hamster : c’est une captivité. La nouveauté.

Les tables blanches exposent les nouvelles machines. Ca tient du décor de la Guerre des étoiles. Un homme l’a compris, et vint un jour déguisé en Darth Vader. Tout est étudié. Avant de lancer le dernier produit, on fait du buzz ; ça marche ; le schéma est connu (les early adopters, puis les autres, et un jour, on voit débouler des grand-mère, les cyber nannies). Les gens excentriques sont bienvenus. Les vendeurs en t-shirt les accueillent. Ils dansent avec les artistes. Ils sont cool. Ca fait partie du jeu. Comme autrefois les marchands, les marchands d’informatique ont leur langue, en l’occurrence l’anglais—pardon des anglicismes—. Le pire ennemi, ce sont ceux qui viennent, d’autres entreprises, pour copier. On les repère facilement, mais qu’ils y aillent, qu’ils essaient. Il y a aussi les Russes, et la TVA. Les Chinois, et la TVA. Les Japonais, et la TVA. Ils doivent s’amuser à l’aéroport, quand tout ce monde se présente pour la récupérer.

Le Store est une entité à lui tout seul ; comme une machine, comme un OVNI en réseau. Un jour, on pourra se téléporter de l’un à l’autre. Ce jour-là, le Store remplacera l’aéroport, et en cela, c’est bien que les employés s’entraînent à la TVA.

 

Paris, le 1er octobre 2012.

 

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