Le magasin de service

Au Québec on appelle cela un dépanneur, apprend-on au Trivial Pursuit ; cela tombe bien, c’est aussi une station service. Ici le magasin de la station service. On est en ville, sur un boulevard, quartier chic. Officiel, même. Cet endroit n’a pas la même fonction que la petite boutique de bord de route, au milieu d’une campagne. Du moins en principe, car elle vous secourra à deux heures du matin tout de même, si vous avez envie d’un sandwich ou d’un paquet de gâteaux mal avisé.

Le jour, on vend ici : de l’essence, de la bouteille d’eau, du brownie industriel, des chips, du jambon-fromage au pain d’usine. Pas la peine de demander la lune, si vous préférez, il y a une boulangerie de l’autre côté du carrefour. Les étudiants ont vu le prix, et viennent s’approvisionner au détriment des campagnes fruits et légumes. D’ailleurs on vend des pommes. Le frais arrive dans les stations service ; les magasins ressemblent de plus en plus à des superettes citadines. D’ailleurs, par ici il n’y a pas d’épicier « arabe » ; c’est ici qu’il faut venir pour le yaourt du petit matin. Les employés travaillent de jour ou de nuit, il y en a plusieurs qui se relaient ; ici on est ouvert tout le temps.

Ca sent l’essence. La lumière : du néon. Mais au milieu de la nuit, c’est incomparablement poétique. L’employé veilleur de nuit, qui n’a jamais travaillé de jour, aime ce calme, cette volupté du silence. Il a été chauffeur de taxi, réceptionniste, veilleur dans un hôtel. Les gens qui passent sont des personnages : seuls, ils le sont davantage, car ils tranchent, montrent l’exceptionnel dans l’humain ; de chaque homme, de chaque femme. Chaque être solitaire qui se présente ici, à quatre heures, à trois heures, à deux heures trente, sur un fond de lumière grise, a une histoire ; surtout en semaine, moins le samedi soir. Le samedi soir, c’est la prolongation de la semaine ; le négatif d’une journée. On vient en groupe, on nargue, on abîme, on blague, on sourit, on vomit. Tout un bazar. Non, le véritable soir c’est la nuit de semaine. Rien de tel qu’un lundi à 2 heures, un mardi à 3.

Faut-il fermer les stations services en ville ? De beaux immeubles entourent les lieux : et si ça explosait ? Certaines grand-mère regardent trop de films…

Cela gêne les piétons.

Et s’il y avait un jardin ?

Qu’est-ce qu’on fera quand ils vendront, se demande le motard (il y a tant de motards)…

Le diesel est cancérigène…

Se rencontre-t-on ici ? Plus d’un célibataire dépité l’a espéré, une nuit, en venant chercher du Coca.

Peut-on faire vérifier ses pneus ? On n’est pas à Vesoul, pense-t-on, le service c’est fini. A l’intérieur, on explique au comptoir que c’est ça qui fait la différence : le service.

Les frigos à porte vitrée se côtoient et vous regardent en banc d’église. Ici, sur le carrelage gris, au point de Mercure, salut du voyageur, tout est possible.

 

 

Paris, le 7 octobre 2012.

A David Valence.

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