Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Mois : décembre, 2014

Aux bougies d’intérieur

Le magasin dégouline de bonnes odeurs ; certains diraient, de bonnes intentions. Mais ce n’est pas si important, car ce qu’on vient chercher au magasin de bougies d’intérieur, c’est une ambiance, plus qu’un parfum. Celle d’un soir solitaire où l’on allume la bougie en guise d’appel à l’inspiration et à la quiétude. C’est comme une balise lumineuse, dans la nuit du faire que constitue chaque jour, disposée pour soi-même : repose-toi, par ici… Et puis c’est pratique pour les mauvaises odeurs, confirme la vendeuse en balayant une mèche blonde. Moi j’ai celle-là, à la maison. Fraise, rose : j’adore. Le client ramasse et sent, circonspect. On dirait un yaourt.

L’achalandage est simple : pas mal de bougies brûlent, mais jamais trop à la fois. Il règne une odeur de Sephora, de magasin de parfum. On vend aussi des mèches, des lampes à huile, des bougies de collection. En cette période de Noël, on vend même les tisanes de Noël, celles qui donnent un prolongement à boire à ces fortes odeurs de bonbon américain qui pèsent sur la boutique : cannelle, fruits rouges, baies…

Aujourd’hui, dans l’espace de vente, tout est rouge ! dans certains pays, avec autant de couleur, on se dirait peut-être en guerre, mais là, ça veut dire : faites sentir vos intérieurs pour vos invités ce soir. Mon préféré c’est la bougie moyenne vanille, témoigne une cliente. Tu ne l’as pas rentrée, dernièrement ? Ah, dommage. Tu peux prendre la verte, thé vert matcha, lui conseille la vendeuse, balayant toujours sa mèche. Ah ouais, pas mal. Allez go ! Tu attends du monde pour les fêtes ? Ah Noël, quel stress !

Pendant l’été ce seront des odeurs qui respirent, qui reposent. Pourrait-on, demande une dame, ouvrir la porte pour aérer un peu ?

La pâtisserie de choux

De loin, on dirait une petite maison de poupées ; un petit carré de lumière dans le soir de décembre. C’est le magasin de choux à la crème. Le mois dernier, le blog influent Mon Paris Mode a décrété : « le chou, c’est le nouveau cupcake ».

Ainsi, nous y sommes. Le chou, c’est le nouveau cupcake. Ici, vous en trouverez de toutes sortes. Mais d’abord, où sommes-nous ?

Dans une rue à la mode, mais pas totalement passante, car il fallait pouvoir payer le pas de porte, ce que la fondatrice avait du mal à faire. La vitrine est entièrement transparente : elle donne à voir des plateaux de choux, des boîtes et de grandes cloches vitrées posées sur le comptoir et derrière la vitrine de gâteaux qui est à gauche.

Le comptoir ne se suffit pas à lui-même : un bar à choux est dressé contre la paroi droite du magasin. Quelques client s’y adossent parfois pour manger un chou et boire un espresso.

Vous pouvez demander des boîtes pour vos choux ; elles sont très jolies ! pour Noël, c’est idéal. Pour vos copains, pour vos copines, c’est top ! Bref, le chou, c’est la convivalité, c’est le partage. Et vos profiteroles vous remercieront.

Une seule vendeuse officie car l’espace est petit ; c’est un couloir. Au fond on fabrique, et c’est transparent. Un pâtissier roule de la pâte et manie une grande seringue à crème. On voit même le four, derrière une vitrine. On utilise les meilleurs ingrédients : crème bio, farine pâtissière. On a même pensé à faire une option vegane. Pour le chou, on ferai tout (c’est d’ailleurs le slogan que la patronne n’a finalement pas retenu).

D’ailleurs, en matière de chou, on teste tout ! choux au chocolat, choux au poivre, choux basilic-citron, ou chou au matcha… Toutes les garnitures et tous les fourrages sont possibles. En fait il y en a une dizaine, car pour bien faire, on ne peut pas tout faire. Les plébiscités sont les coquelicot, et le fruit de la passion. Et bien sûr, le chou classique. On vend aussi des tablettes de chocolat pour faire de la profiterole ce soir. Vos invités vont adorer. C’est la nouvelle cuisine française : on innove !

Avant Noël, là encore, les gens se bousculent. Ce weekend, on n’a pas arrêté de travailler, souligne la vendeuse. On dirait que ça reprend soupçonne la patronne avec une pointe d’ironie. Qui sait. En attendant, pour se remonter le moral, il suffit de gober un chou…

Paris, le 22 décembre 2014.

Le magasin de métaphysique

Ici on réfléchit sur soi, précise la fondatrice de cette boutique spécialisée.

De partout on vient ici pour « s’informer ». Il y a de nombreux livres dont certains en vitrine. Tout est regroupé par thème. Le développement personnel est d’un côté. Les livres de tarot, de l’autre, avec les jeux : le Marseille, le Jodorowsky. Au milieu, une grande table où l’on trouve de tout ; des ouvrages sur les plantes ; des ouvrages sur le corps ; des agendas ; de petits cadeaux (artisanat, petites cassettes). C’est à mi-chemin entre un magasin de nature et un magasin d’objets de voyance, avec un brin de déco et de bijouterie.

Justement, on trouve au fond une collection de pierres précieuses indexées et rangées dans de petites boîtes, avec des étiquettes qui rappellent leurs propriétés. Au-dessus, sur le mur on a accroché des colliers, très beaux, aux motifs de la terre et de savoirs ancestraux qu’on essaie de retrouver ici. Il y a aussi des boucles d’oreilles, de toutes parures de pierre, de métal et de bois. Ne demandez pas le sens de l’achalandage ; c’est organisé selon un ordre intuitif. Ceci vous stimule : allez chercher votre voix intérieure. Là, des pendules et des ouvrages de radiesthésie. Ici, un peu d’herboristerie. Là, des informations sur l’acuponcture. Plus loin, les religions du monde et leurs bienfaits respectifs. A ma droite, les CD de musique relaxante, celle des peuples premiers.

Ici, se tiennent des ateliers. C’est un lieu qui fait du lien. C’est un endroit où l’on vient se retrouver, échanger, initier une démarche. La ligne est ouverte, on ne professe rien de particulier, contrairement à ce que vous pourriez croire. La patronne du lieu défend seulement, suggère-t-elle, une introspection.

Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer dans ce lieu ? Au départ, c’est peut-être la curiosité ; ou les cartes postales ; ou le livre sur le sexe tantrique. Dedans, c’est autre chose : il y a, somme toute, une grande variété, un grand éclectisme. Vous vous sentez un peu perdu, mais est-ce que c’est la boutique qui révèle ou la vie que vous menez qui vous y conduit ? C’est la discussion avec cette dame un peu illuminée qui vous a confié une amulette. Portez-la, la nuit. Je me demande bien pourquoi je suis rentré, se dit le badaud, qui va à la boulangerie en face, mais en même temps, c’était marrant. Tu es allé chez les fous ? demande sa mère l’air hilare. Ils ne sont pas fous, y a des trucs à regarder. T’es entré dans une secte ? lui a demandé sa mère pendant qu’il lit le livre sur la chiromancie. Mais non, c’est juste pour savoir.

Paris, le 14 décembre 2014.

Le photographe

Peu de personnes passent la porte. On a connu de meilleurs jours. C’est drôle comme tout a basculé, pense le patron à voix haute en fumant sa cigarette. Fin des années 90, on pensait tenir le bon bout. Et on introduisait toujours de nouvelles innovations. J’ai connu l’arrivée en masse de la couleur ; j’ai connu une activité foisonnante.

Maintenant, ce sont essentiellement des photos d’identité et des agrandissements. On vend aussi des caméras et des flash, plein de matériel. Du numérique. Ca permet de compléter les revenus de la boutique. Là où avant les gens venaient pour le développement, ils viennent maintenant pour leurs propres besoins. Ce qu’on a perdu par un côté, on penserait le récupérer ailleurs, puisque maintenant désormais tout le monde est photographe, et tout le monde développe. Quel paradoxe qu’on fasse encore les photos d’identité ! C’est une activité rescapée comme les cafetières italiennes au pays de Nespresso. Et les photos de groupe, de famille.

Pour compléter surtout, le patron fait des mariages. J’en faisais avant, mais depuis dix ans, c’est 40% de mon chiffre d’affaires. Les murs sont pleins de portraits réussis, les vitrines de mariés. Ca ça ne bouge pas. Dans les années quarante à Strasbourg, mes grands-parents sont restés trois ans en vitrine. En noir et blanc.

Le papier Ilford, l’odeur prégnante et chimique de la chambre noire… Tout ça,  c’était beau, et ça devient rare. Tout le monde est passé au numérique. Quand Kodak a annoncé qu’ils arrêtaient la recherche en argentique, ça a été un choc.

La boutique est simple, en fait ; pas beaucoup de place pour manœuvrer. Il y a une vitrine simple et transparente où sont exposés, à hauteur de jambe, des appareils, des cadres et de jeunes couples. Dedans, le comptoir qui fait toute la longueur du magasin. Au comptoir, le patron. Au-dessus de nos têtes, les portraits. Derrière, des machines complexes, surtout de quoi imprimer. A gauche, des lampes de studio et un fond blanc, une sorte de drap. Au sol, une moquette grise qui a vu de meilleurs jours mais qui résiste vaillamment. Ils doivent avoir la même au siège de Toshiba. Voilà, c’est résumé. Itunes, et des tubes de rock années 80 (l’époque où ces mecs gothiques ne faisaient pas encore des balades…., et où la photo était différente). Quelques clichés de safari (le patron est allé au Kenya l’an passé).

On va s’en sortir, répète-t-il à ses clients fidèles. Il faut passer le cap.

Paris, le 7 décembre 2014.

A Jennifer Huxta, à mes amis photographes.

A Fermin Reygadas, pour l’appareil photo, il y a longtemps.

A Janet Delaney, pour le réveil de nos regards.

La baraque du marché de Noël

Ca y est ! on a dressé le petit chalet sur la place du marché.

Dix autres comme lui se côtoient, prêts à accueillir les chalands et les touristes de même, avec le visage sympathique d’une souriante maisonnette d’hiver. La zone piétonne est équipée de hauts parleurs. Depuis deux jours déjà, ils passent à toute heure de la musique de Noël (américaine, et, pas après 22h, les riverains étant intervenus).

Tout semble prêt pour le déploiement de la magie de Noël. Qui sait d’où vient l’expression. A l’intérieur, un petit chauffage permet de garder les jambes bien au chaud, tandis que l’on fait face au temps qu’il vente ou pleuve (de toute façon, on est à l’abri, et on y est plutôt bien). Cette année, le placier a été particulièrement capricieux. La concurrence est rude ; les dossiers devaient être déposés dés le mois de juin. Juin ! Eh oui, faut prévoir. On espère que les ventes seront bonnes ; jamais possible de prévoir. On a prévu de nombreuses fois et on s’est trompés à de maintes reprises. Cette année, le voisin dit qu’il y aura plus de Japonais, plus d’Américains, moins de Russes, peut-être un peu moins d’Allemands. Ca ralentit, l’Allemagne. Mais c’est juste à côté, en même temps : qui sait ? Car on est juste à côté. On est en Alsace, tous les villages de la région et toutes les villes ont leur marché de Noël. Strasbourg et Colmar concourent sans cesse pour la taille de leur marché ; Sélestat pour la capitale de Noël. Les babioles de Chine envahissent tout. Maintenant, au-delà du nombre, une exigence de qualité : est-ce fabriqué en France ? Dans l’Est ? En Allemagne ? Ou je ne sais où ? Ca tient ?

Dans cette maisonnette, on est spécialiste de pain d’épice et de friandises de Noël. Tout vient d’une excellente pâtisserie au village. Les grandes pièces viennent d’un fabricant spécialistes à quelques kilomètres. Goûtez, Madame, vous ne le regretterez pas. Ah, oui, c’est très bon, spécialité régionale, vous savez. Passons sur le fait que le pain d’épice est une terre hautement contestée : que de pays d’Europe ont sur lui planté leur drapeau, mais il résiste, se dérobe et se réinvente d’une contrée à l’autre. Ici, en Alsace, on le fait d’une certaine façon. Moins de gingembre qu’aux Pays Bas et dans les pays anglo-saxons. Moins de chocolat qu’en Allemagne. Plus nature.

Tout un parcours conduit ici ; par la mairie ; par les rues piétonnes. Un guide imprimé sur un papier glacé doré indique le chemin et les stations du pèlerin. Tout au long une décoration, un spectacle presque total. Que viennent-ils chercher ? se demande une habitante qui les observe par la fenêtre. Le côté Hansel et Gretel, peut-être. C’est en Alsace que Miyazaki est venu chercher le décor du Château ambulant. Le dépaysement, à deux pas de chez vous. Encore que : certains viennent de loin, d’Asie, d’Italie. (C’est pareil, n’est-ce pas…). Le paysage de carte postale, les traditions perdues (ça, c’est pour les Parisiens). On cherche encore. Est-ce commercial ? oui. Tout le monde vend quelque chose. Mais en même temps, c’est aussi plus que ça, encore, qu’ils viennent chercher. C’est peut-être le sens de Noël et des fêtes, le sens d’une époque de l’année où il fait nuit plus que jour et où l’on voudrait se recroqueviller sur un cocon. C’est peut-être de se retrouver.

Colmar, le 1er décembre 2014.

1er décembre : Journée mondiale de lutte contre le SIDA et le VIH.