Derrière chaque gâteau, au travers de chaque macaron, il y a la silhouette, grasse mais élégante, large mais altière, du pâtissier. Qui croirait que tant de fragiles petits macarons, de Paris-Brest finement sculptés, avec leur crème qui se montre comme les cuisses d’une danseuse de cabaret, que tant d’éclairs délicieusement allongés, étonnement épais, avec leur glaçage de sucre coloré et pastel Pompadour, rose, brun, blanc, beige, en somme que tant de délicatesses seraient le fruit de doigts si gros, mais si experts ?
La pâtisserie est la chose au monde la moins utile, en apparence. A quoi sert un Paris-Brest, en temps de grève des trains ? Quel intérêt au financier lorsque les banques s’effondrent ? Pourquoi l’Opéra ? Les billets sont introuvables ! Tenter, toujours tenter, et ne rien offrir, que le plaisir d’un moment et du sucre. Pourquoi le Ministère ne les a-t-il interdites ? Pourtant même les Scandinaves ont les leurs, et les exportent en quantité industrielle dans leurs magasins de meubles. Si les Scandinaves en ont, c’est que ce n’est peut-être pas si mauvais ? Si, si, mauvais et mal. Le serpent d’Eden était peut-être un éclair ambulant. Pourtant, à moins d’en manger chaque jour et tout le jour, ce ne sont pas les pâtissiers qui font les obèses, mais les fabricants de chips. Certes nous mangeons trop de sel, trop de sucre… Mais ceci n’est point un traité de nutrition, alors revenons au sujet.
L’achat n’est pas rationnel, c’est un acte d’affirmation de soi, de supériorité de l’esprit jouisseur sur le corps.
La pâtisserie n’est pas bonne pour la santé, mais elle l’est peut-être par effet de second tour, par acte cérébral, par décision inconsciente : le Placebo Suprême. Le sucre, et l’orfèvrerie. De ces belles constructions minutieuses et expertes, prodigieuses et épatantes, de ces refuges de princesse et de ces palais de poupées, le sucre est le ciment, la crème le mortier, le glaçage et le chocolat les peintures, les plâtrages divins, les marbres de Carrare.
On est ici pour se faire du bien. A soi, aux autres, et souvent à soi par les autres. Tant de grand-mères amènent de gourmands petits-enfants, qui reviendront en cachette pour être reconnus par un aréopage de vieilles dames rassemblées au salon de thé pour le quatre heures et les discussions du jour. Tant d’amoureux réconciliés, ou du moins, qui commencent les retrouvailles un gâteau à la main comme un brin d’olivier.
Tant d’étrangers de passage friands de friandises françaises, avides de découvertes sur le palais comme dans les yeux, au nez comme à l’oreille (mais je ne sais comment). Tant de monde qui passe.
Ici, on vend des produits exceptionnels. Les vitrines, des coffrets de verre, donnent le doux vertige.
Vous ne connaissez pas la confiture de groseilles épépinées à la plume d’oie de Bar-le-Duc. Ou le mesturet de Castres. Avant je ne connaissais pas non plus. Mais on en vend. Les madeleines de Commercy, le gâteau aux noix montagnard, la confiture d’églantine et le berawecke alsaciens (la pâtisserie d’Alsace est inimitable et ne se résumera pas ici, ô désespoir encylopédique), le fruit confit à l’italienne, la pâte d’amande, la pâte de fruits, les chocolats (on n’en fait qu’un peu, on ne peut pas tout faire). Surtout, il y a les classiques, déclinés aux épithètes prestigieux : le Parfait de ceci-cela, chocolat ou fruit de la passion, le Suprême de caramel avec ses morceaux de noix éclatées, pardon, ses éclats de noix, le Calembour d’autre chose, le Divorce (il faut être sûr de soi. Beaucoup se réfrènent.), le Diplomate (moqué au Quai, mais mangé en douce), la Forêt noire si subversive et difficile à réussir cisrhénaniquement, la madeleine pour le thé. Il faut des produits d’appel. Les habituels. Les classiques. Et c’est avec cela qu’on vendra les nouveautés, ou les antiquités retrouvées.
Affirmons-le : la pâtisserie ne désemplit pas : la crise est un mot que nous barrerons. A ceux qui disent de ne pas jouer avec leur nourriture, nous affirmons que le maniement de la crème et de la pâte poussée au rang d’art peut faire des merveilles. A qui doit-on la pâtisserie d’aujourd’hui ? Tant de choses. Au Moyen Age, la pâtisserie alsacienne était toute d’épices, de miel, et de fruits confits : plus vous manquez, plus vous en rajoutez. En Orient, si on peut appeler comme ça le Maroc, et l’Algérie, et…le Liban, dans les gâteaux, l’abeille est reine, ainsi que la fleur d’oranger… que l’on retrouve dans les exquises pâtisserie italiennes dont le sommet insurpassable serait le bien nommé semi-freddo. L’Amérique tant moquée a fini par exporter ses cupcakes et ses muffins, ses brownie et ses scones mieux que le cinéma. L’Amérique latine viendra aussi vers nous, avec sa confiture de lait et ses fruits enchantés, ceux dont nous ne pouvons rêver. La pâtisserie est bien plus que la pâtisserie. A quoi ressemblerait la pâtisserie-Monde ? la pièce montée de Babel ?
Tant de choses s’échangent, en matière de pâtisserie. Elle est au jeune Français une Marine nouvelle : apprenez-la, embarquez-vous, et allez faire fortune dans quelque ville du monde émergent en vendant des chaussons aux nouvelles classes.
De grands entrepreneurs sont partis, de rien, aux quatre coins du monde, et ils y ont ouvert des maisons qui sont revenues en fanfare, à Paris, acclamées de tous, installée à Saint Germain des Prés, au centre du monde honnête, dessinées comme des bijouteries, avec trop de personnel d’une obséquiosité harassante et des formes épurées. On y donne le sentiment de frais qui désinhibe : morceaux de figues coupées, fraises qui semblent tombées d’un arbre (!), ou lancées par le jardinier. Formes minimales : rien ne dépasse, cela ressemble à un de ces nouveaux divans italiens.
Laissons-la les secrets de la pâtisserie nouvelle. Jeunes gens qui partez : entendez-bien le message de vos aînés.
Le chic absolu, ce sera vous. L’image du pays, ce sera vous. L’ambassade officieuse, le vrai porte-drapeau, l’âme de la Gaule, enfin, vous voyez ce que je veux dire. Alors soyez les meilleurs, filles et fils de la France éternelle.
Faites les meilleures Tatin, les plus beaux choux, les florentins les plus exquis, les Baba les plus barbaresques. Sur vos têtes et sur vos doigts, une Nation se repose.
Rio de Janeiro, le 4 février 2013.
A Joël Molineux, pour m’avoir montré le Paradis.
A Pascal et Edgar Gartner-Gonzalez, qui m’y ont hébergé.
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