Le magasin d’argenterie

par Frédéric Benhaim

L’avoir chez soi ou à la banque. L’exhiber ou la cacher. La sortir pour les grandes occasions ou la léguer en l’état.

            Moi, je vous conseille de la sortir et de vous en servir, conseille l’une des propriétaires de cette boutique, où les gens ne se précipitent pas pour rentrer. La vie est courte. On meurt et après ?

C’est affiché en écriture cursive, à la française, à l’ancienne ; Argenterie neuve et d’occasion. Toutes les maisons sont ici, Christofle, Villeroy et Boch, même les fabricants de cristal… Ces dernières années les grands designers et même les couturiers s’y essaient mais pas toujours heureusement. Ici, on filtre selon le goût des propriétaires. Les arts de la table, comme on dit, sont ici ; l’argenterie est centrale à ceux-ci. Les objets qu’on expose ici, dans des vitrines, des étagères (certaines grimpent jusqu’au plafond), sur les tables d’exposition vont bien au-delà du couvert. La corne, le bois, le cristal, l’or mêlé à l’argent, tout est là. Bougeoirs, chandeliers, candélabres, cafetières, plats, cadres, coupes, jusqu’aux suites de table faites en miroir, pour poser des lampes ou des bougies ou encore des plantes. C’est sans fin. On se croirait chez Ali Baba. Bien sûr qu’il y a une alarme et que c’est protégé. On se croirait dans un grand Noël de famille. On croit voir le rôti nager dans le plat. La lumière de l’halogène dore la pièce et fait briller certaines pièces, ajoutée au soleil qui fait iriser jusqu’à la rue lorsqu’entrent ici les derniers rayons du jour.

Chaque objet a une histoire ; il faut prendre le temps de regarder ; plaisir des yeux, plaisir de la connaissance. Ceci, c’est du Napoléon III ; ceci, c’est exactement ce qu’on trouvait à Versailles. Ca, c’était une pièce que l’on emportait quand il fallait fuir, tout laisser derrière soi.

Il y a toujours moins dix pour cent sur tout le magasin ; à croire que cela fait partie du prix. Si vous cherchez une pièce particulière, je peux vous la chercher propose la patronne (son mari est absent aujourd’hui). Ils vont aux enchères, ils achètent au particulier ; la maison est établie depuis vingt ans. On travaillait mieux avant, mais ça va, on s’en sort. Ici, on parle anglais, allemand, et quelques mots de russe.

Les murs auraient besoin d’un coup de peinture fraîche, mais le parquet tient le coup. Dans l’ensemble, l’heure est à la vente, pas aux travaux. Est-ce que ça se perd chez les jeunes consommateurs d’Ikea ? On y reviendra !

 

Paris le 19 janvier 2015.

A cette dame qui m’a si gentiment accueilli et expliqué.