Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

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La boutique de lingerie

Au village, la boutique trône sur une petite place. On pourrait s’étonner : mais que fait pareille enseigne en un lieu si isolé ? Par ici, les gens achètent par correspondance, non ? C’est que la clientèle accourt de toute la région, en général du moins, car pendant les périodes de vacances, il n’y a rien. Et c’est le cas en ce moment. L’été est tombé comme un piano à queue d’une fenêtre malveillante. On attend des heures. Inventaire et mots croisés. Iphone et jeux. Actus. Même pas de vente de maillots de bain ; ici on en vend quelques uns pour l’occasion. Heureusement, tout le monde ne part pas en vacances, et parmi ce monde-là, il y en a qui aiment les dessous.

Ce n’est ni une question d’âge, ni d’ancienneté dans le couple ni d’ailleurs de statut marital.  Pas plus, ajoute-t-on avec une ironie que cache un air de rien, que de sexe ! le meilleur client est un homme marié, qui essaie tout dans le plus grand des secrets de Polichinelle. Ce n’est pas non plus une affaire de taille (on en vend de toutes), car on peut, tout à fait, faire bonne chère et bonne parure ! Pas de beauté ou de laideur. Tout cela, de toute façon, c’est relatif ! LA surprise du dernier modèle au foyer recouvré, au terme d’un long voyage, ou seulement d’une après-midi de courses, d’une journée aux champs, tout cela fait toujours son effet. Plus d’une noce d’or ou d’argent omet de saluer, parmi les chansonnettes populaires, réécrites pour l’occasion, parmi les discours et les souvenirs officiels, le rôle de la lingerie, si douce maîtresse, gardienne des couples heureux, avec de certaines tenues viriles portées par les messieurs incontestablement plébiscitées dans les chambrettes.

La nouveauté, la surprise, et l’inflexion du quotidien vers un voyage aux étapes inconnues et exotiques, tout cela se travaille. Le magasin est simple. Quelques modèles en vitrine. Quelques mannequins devant et le long des murs, quelques portants nouvelle mode, mais l’essentiel est dans les tiroirs qu’offrent de grandes commodes gris anthracite et noir, élégantes, alignées vers les cabines d’essayage, comme les bords d’un hall d’honneur caché. Il faut être à la confidence ; c’est l’antre de la chambre à coucher ! A croire que par-delà les miroirs de la cabine, on pourrait entrer dans l’intimité des foyers, en poussant la paroi.

La patronne entretien une relation exceptionnelle avec ses clientes ; c’est une passionnée, discrète cependant. Elle connaît les goûts et les caractères ; elle anime les libertés. Il n’y a pas d’interdit qui ne doive émaner de vous, Madame, c’est votre corps ! alors oui, prenez-la, elle vous va bien, mais si, vous pouvez, je vois bien qu’elle vous plaît, et sur cette pièce, je n’ai eu que des compliments…

A MS, pour le récit de l’attente.

Le magasin de service

Au Québec on appelle cela un dépanneur, apprend-on au Trivial Pursuit ; cela tombe bien, c’est aussi une station service. Ici le magasin de la station service. On est en ville, sur un boulevard, quartier chic. Officiel, même. Cet endroit n’a pas la même fonction que la petite boutique de bord de route, au milieu d’une campagne. Du moins en principe, car elle vous secourra à deux heures du matin tout de même, si vous avez envie d’un sandwich ou d’un paquet de gâteaux mal avisé.

Le jour, on vend ici : de l’essence, de la bouteille d’eau, du brownie industriel, des chips, du jambon-fromage au pain d’usine. Pas la peine de demander la lune, si vous préférez, il y a une boulangerie de l’autre côté du carrefour. Les étudiants ont vu le prix, et viennent s’approvisionner au détriment des campagnes fruits et légumes. D’ailleurs on vend des pommes. Le frais arrive dans les stations service ; les magasins ressemblent de plus en plus à des superettes citadines. D’ailleurs, par ici il n’y a pas d’épicier « arabe » ; c’est ici qu’il faut venir pour le yaourt du petit matin. Les employés travaillent de jour ou de nuit, il y en a plusieurs qui se relaient ; ici on est ouvert tout le temps.

Ca sent l’essence. La lumière : du néon. Mais au milieu de la nuit, c’est incomparablement poétique. L’employé veilleur de nuit, qui n’a jamais travaillé de jour, aime ce calme, cette volupté du silence. Il a été chauffeur de taxi, réceptionniste, veilleur dans un hôtel. Les gens qui passent sont des personnages : seuls, ils le sont davantage, car ils tranchent, montrent l’exceptionnel dans l’humain ; de chaque homme, de chaque femme. Chaque être solitaire qui se présente ici, à quatre heures, à trois heures, à deux heures trente, sur un fond de lumière grise, a une histoire ; surtout en semaine, moins le samedi soir. Le samedi soir, c’est la prolongation de la semaine ; le négatif d’une journée. On vient en groupe, on nargue, on abîme, on blague, on sourit, on vomit. Tout un bazar. Non, le véritable soir c’est la nuit de semaine. Rien de tel qu’un lundi à 2 heures, un mardi à 3.

Faut-il fermer les stations services en ville ? De beaux immeubles entourent les lieux : et si ça explosait ? Certaines grand-mère regardent trop de films…

Cela gêne les piétons.

Et s’il y avait un jardin ?

Qu’est-ce qu’on fera quand ils vendront, se demande le motard (il y a tant de motards)…

Le diesel est cancérigène…

Se rencontre-t-on ici ? Plus d’un célibataire dépité l’a espéré, une nuit, en venant chercher du Coca.

Peut-on faire vérifier ses pneus ? On n’est pas à Vesoul, pense-t-on, le service c’est fini. A l’intérieur, on explique au comptoir que c’est ça qui fait la différence : le service.

Les frigos à porte vitrée se côtoient et vous regardent en banc d’église. Ici, sur le carrelage gris, au point de Mercure, salut du voyageur, tout est possible.

 

 

Paris, le 7 octobre 2012.

A David Valence.

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