Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Tag: Noël

La baraque du marché de Noël

Ca y est ! on a dressé le petit chalet sur la place du marché.

Dix autres comme lui se côtoient, prêts à accueillir les chalands et les touristes de même, avec le visage sympathique d’une souriante maisonnette d’hiver. La zone piétonne est équipée de hauts parleurs. Depuis deux jours déjà, ils passent à toute heure de la musique de Noël (américaine, et, pas après 22h, les riverains étant intervenus).

Tout semble prêt pour le déploiement de la magie de Noël. Qui sait d’où vient l’expression. A l’intérieur, un petit chauffage permet de garder les jambes bien au chaud, tandis que l’on fait face au temps qu’il vente ou pleuve (de toute façon, on est à l’abri, et on y est plutôt bien). Cette année, le placier a été particulièrement capricieux. La concurrence est rude ; les dossiers devaient être déposés dés le mois de juin. Juin ! Eh oui, faut prévoir. On espère que les ventes seront bonnes ; jamais possible de prévoir. On a prévu de nombreuses fois et on s’est trompés à de maintes reprises. Cette année, le voisin dit qu’il y aura plus de Japonais, plus d’Américains, moins de Russes, peut-être un peu moins d’Allemands. Ca ralentit, l’Allemagne. Mais c’est juste à côté, en même temps : qui sait ? Car on est juste à côté. On est en Alsace, tous les villages de la région et toutes les villes ont leur marché de Noël. Strasbourg et Colmar concourent sans cesse pour la taille de leur marché ; Sélestat pour la capitale de Noël. Les babioles de Chine envahissent tout. Maintenant, au-delà du nombre, une exigence de qualité : est-ce fabriqué en France ? Dans l’Est ? En Allemagne ? Ou je ne sais où ? Ca tient ?

Dans cette maisonnette, on est spécialiste de pain d’épice et de friandises de Noël. Tout vient d’une excellente pâtisserie au village. Les grandes pièces viennent d’un fabricant spécialistes à quelques kilomètres. Goûtez, Madame, vous ne le regretterez pas. Ah, oui, c’est très bon, spécialité régionale, vous savez. Passons sur le fait que le pain d’épice est une terre hautement contestée : que de pays d’Europe ont sur lui planté leur drapeau, mais il résiste, se dérobe et se réinvente d’une contrée à l’autre. Ici, en Alsace, on le fait d’une certaine façon. Moins de gingembre qu’aux Pays Bas et dans les pays anglo-saxons. Moins de chocolat qu’en Allemagne. Plus nature.

Tout un parcours conduit ici ; par la mairie ; par les rues piétonnes. Un guide imprimé sur un papier glacé doré indique le chemin et les stations du pèlerin. Tout au long une décoration, un spectacle presque total. Que viennent-ils chercher ? se demande une habitante qui les observe par la fenêtre. Le côté Hansel et Gretel, peut-être. C’est en Alsace que Miyazaki est venu chercher le décor du Château ambulant. Le dépaysement, à deux pas de chez vous. Encore que : certains viennent de loin, d’Asie, d’Italie. (C’est pareil, n’est-ce pas…). Le paysage de carte postale, les traditions perdues (ça, c’est pour les Parisiens). On cherche encore. Est-ce commercial ? oui. Tout le monde vend quelque chose. Mais en même temps, c’est aussi plus que ça, encore, qu’ils viennent chercher. C’est peut-être le sens de Noël et des fêtes, le sens d’une époque de l’année où il fait nuit plus que jour et où l’on voudrait se recroqueviller sur un cocon. C’est peut-être de se retrouver.

Colmar, le 1er décembre 2014.

1er décembre : Journée mondiale de lutte contre le SIDA et le VIH.

Aux décorations de Noël

Noël est passé, tout est déjà en soldes. Ca sent la relève, et comme un lâche soulagement. Au-revoir les repas et les fêtes, le cérémonial, les beaux habits et les remarques de la Tante Ursule, ou de l’aïeul qui radote, ou les objets volants de Cousin Untel, qui ne passe jamais le seuil de l’adolescence, comme perdu dans un vortex hormonal…ou tout, ou rien de tout cela si vous avez de la chance ou de la malchance…Pour d’autres Noël c’est une fête entre amis. Pour certains, c’est une bouteille de vin. Le bonheur, le malheur, dans tout cela est difficile à décerner ; il se loge là où on ne l’attend pas et ne prend pas toutes les formes les plus attendues.

Les boules de Noël, c’est un peu ça. Il y a un Noël traditionnel : des boules qui scintillent, qui reflètent mille petits éclats de Neige dorée. De fausses pommes (savez-vous qu’au départ, on accrochait des pommes et des oranges, appelées pommes d’or ?). Du cristal (qui a remplacé les aliments, plus tard). De jolies sculptures de bois, petites, d’anges et de reines, qui se promènent dans les airs, suspendus à de minces fils dorés ou transparents. Ca c’est le Noël des marchés, le Noël des réclames, le Noël des vitrines, le traditionnel. C’est un monde « féérique », qui est sensé vous amener au pays des elfes, dans un monde médiéval-fantastique que vous apprécierez même si vous n’avez jamais été très Dongeons et Dragons, jamais très contes de fées. Noël, c’est le moment où on se transforme tous en geeks obsédés par la magie des mondes imaginaires. Tout ça c’est un rayon entier du magasin, tout un pan de mur, et c’est magnifique.

Si votre Oncle Jimmy aime aussi se déguiser en Père Noël, ici plusieurs costumes pourront l’accomoder. Vous avez le style Saint Nicolas, plutôt cape et robes rouges. Vous avez le style Père Noël moderne, même pour les minces. Vous avez le style Père Noël revisité de noir, et quelques perruques. Pour les féministes, ou les Maman désireuses de se déguiser, voici Mère Noël en quatre tailles. On vend aussi les lunettes rondes pour l’un ou l’autre, les accessoires, la ceinture noire, les bottes (vous pouvez vous en servir en guise de Moon Boots, mais cette année il fait trop chaud). Dernière nouveauté, si vous allez aux Tropiques pour Noël comme nous l’aimerions tous, les maillots de bain rouges. Oui, là aussi, il y a des sapins et des barbes blanches.

Mais revenons aux décorations. La suite ce sont les choses qui se pendent et qui vous surprennent : objets suggestifs voire franchement sexuels, imitation de fruits, guirlandes de petits ananas en plastique. Le rayon insolite croît chaque année ; il y a tout un courant de gens qui en ont assez de l’épicéa et du clinquant. Ils veulent parer un cactus, un palmier, un bonzaï. Souvent un objet décoratif suffit.

Un peu plus loin, là, sur votre gauche, vous avez le royaume de la guirlande. De toutes les couleurs, à vous en faire mal aux yeux, ainsi que les électriques de toutes couleurs, et luminosités, et qui vont éclairer votre salon. Ce genre d’accessoire brillant au possible se vend toute l’année ; il fait office d’éclairage dans de nombreux restaurants, salons, ou chambres de célibataires. Cela indique une certains chaleur humaine, l’esprit de la fête prolongée.

La moquette, c’est un motif en arbres de Noël et traîneau. Sans doute vous a-t-il échappé que vous pouviez aussi décorer votre sol. Là votre œil se fixe sur la peinture et les décalcomanies spéciales, Sapin, Croissant de Lune, etc. Il y a aussi les décorations murales, d’ailleurs, les étoiles pour cime d’arbre. Quelques autres décorations près de la caisse, pour les autres religions, Chanukkah, Ramadan ; en toutes saisons, on fait magasin de décorations ; en saison spéciale, on multiplie les décorations pour coller au thème. Noël, c’est « la » grande opération. La vitrine, d’ailleurs, est partiellement couverte de neige artificielle, dedans, différentes modes d’arbre de Noël sont exposées. Une musique douce, de clochettes, retentit, ainsi que les incontournables tubes de la variété internationale. Venir ici, c’est un peu comme aller au parc d’attractions ; une fois, de temps en temps…

A James Bush et David Reid, qui se sont rencontrés dans une boutique.

Paris le 29 décembre 2013.

Bonne année à tous.

La gaufrerie

La guerre de la gaufre est lancée. Dans une rue voisine, il y en a une autre, qui vend des liégeoises dorées au caramel. 2€50 au contre 3, 3€50 contre 4, iront-ils vraiment comparer ? A Paris il n’y a pas vraiment de marché de Noël, pas vraiment de tradition et les décorations sont épouvantables, ou au mieux étranges.  On n’est pas en Alsace ! Mais maintenant, on aura les gaufriers, pardon, les gaufreries, enfin, les gaufres. La Belgique a du bon, pense le promeneur ou l’acheteur de Noël, le gamin en vacances ou qui attend de l’être, la vieille un peu gourmande. La gaufre est chaude et dans ce froid, cela fait du bien. Elle est calorifique. L’hiver le requiert. Elle est craquante, et nos dents ne demandent qu’à retourner chez le dentiste.

Goûtez les saveurs ; les parfums. La gaufre, c’est comme tout, ça innove. Fourée au chocolat, cannelle, miel, cardamome. Brevetée. En Belgique on a poussé les choses. Le hamburger, les avions, les voitures évoluent…pourquoi pas les gaufres ?! La prochaine expansion industrielle des Belges sera peut-être celle des gaufres… En tout cas la World Gaufre, la Global Gaufre, la World Waffle est parmi nous. Adieu ! crêpes, churros, marrons glacés. Arrière, Bretons, Charlemagne est de retour ! Fini ces goûters de rue que nous remettent des mains suspectes (et l’hygiène dans tous ces bouibouis ?). La gaufre est hygiénique ; il n’y a qu’à voir les carrés du gaufrier ; ils nous inspirent confiance. Elle est médicale. On dirait un appareil de bloc opératoire. Un dessin industriel. Une utopie de Mondrian. Un morceau de machine à café contemporaine. D’ailleurs le gaufrier est tout technique, avec ses rangées et sa pince associée. On parle de conquête du monde pour la gaufre belge. Chine ! Afrique ! Amérique ! L’Amérique nord-américaine ne connaît que la gaufre faussement belge, la rococo, la Belgian Waffle. Opportunité… Mais ici on est loin de tout ça. Le puriste vous l’expliquera : il y a la gaudre de Bruxelles et celle de Liège. L’une est plus diététique que l’autre (toutes choses relatives)—mais ce n’est pas celle que l’on vend. Et malgré les puristes, on vient de lancer la gaufre en sandwich, avec du fromage de chèvre, du jambon et tutti quanti, comme les croissants sandwich. Ca semble marcher.

Ici, uniquement du sucré. On choisit depuis la rue, devant une vitrine où trônent gaufres et gaufrier, condiments et parfums. Tout est fait devant vous. On paie à l’intérieur, mais la façade est ouverte, on peut discuter depuis la rue ; tout est naturel, tout est fluide.

Il y a un vendeur, et un patron. Le patron parle, le vendeur sert, au fond, on ne sait pas trop bien qui vend : disons qu’ils sont deux. Avec la gaufre, un petit carton car c’est chaud, et une serviette qui colle à la pâte. Ca laisse du sucre chaud sur les doigts : gardez votre serviette, ou prenez-en une autre. Le service est là, la parole est libre ; on se croirait chez le boulanger de quartier. On veut durer.