Le magasin de prothèses auditives

par Frédéric Benhaim

Trop de boums, trop de concerts, trop de surprise parties, trop de soirées, trop de raves, ou bien trop de marteau piqueur… trop de cris après les enfants, trop piaillé face à son épouse ou conjoint, trop bramé sur le terrain de foot. Trop, …, dit-on aux ados. Trop tiré, trop fait la guerre, trop roulé sa bosse sur les circuits de rallye, écouté la musique à fond, AC DC, NTM, Nirvana, Beyoncé, ce que vous voudrez, le résultat est le même : nous voici au magasin de prothèses auditives.

            Moi qui n’ai jamais porté de lunettes, j’ai les deux d’un coup.

         —Vous verrez, Monsieur, ça ne se voit même pas. Puis d’un voilà doux et réconfortant, d’accompagner la  première pose. Ca se porte très facilement, en plus.

Scène quotidienne au magasin de prothèses. On en voit de tous les âges, pas que des vieux, et vous savez, on en voit de plus en plus jeune. Prenez garde mortels, votre ouïe ne reviendra pas.

Dedans, on est comme au salon, comme dans ces nouveaux espaces commerciaux où l’on vend des téléphones. On ne sait pas très bien s’il faut attendre, et à qui se présenter. On vient vers vous.

Les machines sont toutes petites. On croirait des émetteurs issus de films de science fiction. C’est avec ça que les aliens m’ont suivi et recapturé, diront-ils sur Fox en prime time. Placé derrière l’oreille, on ne le remarquerait que sur l’oreiller ; et de loin, il semble dédoubler le lobe, étrangement, mais pas assez clairement pour qu’on le distingue. C’est comme une greffe artificielle… Etape de la transhumanisation à venir de notre espèce ?

Peu importe la philosophie, vous diront les médecins, balayant ça d’un revers de la main, ORL et compagnie… vous avez envie d’entendre ? ça donne quand même de beaux résultats. Alors nous y voici, encore une fois.

La vitrine est accueillante, apaisante. Elle présente des bleus clairs (c’est le côté médical), et des violets doux. Essais gratuits. On a parcouru un certain chemin avant de passer la porte ; d’ailleurs souvent on n’en a parcouru aucun puisque ce sont les enfants qui viennent se renseigner pour leurs parents. Vous croyez que ça pourrait lui aller ? ah oui, ça c’est discret, il l’accepterait. Faire accepter au vieux que plus personne ne peut lui parler, et qu’il nous casse les oreilles au combiné. Faudrait pas qu’on finisse ici, nous aussi.

Paris, le 16 novembre 2014.