Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Tag: bain

Aux salles de bains de création

Lorsqu’elle a fondé son enseigne, la patronne savait bien ce qu’elle entendait par salles de bains de création. Pas de créateurs, car ici on se veut démocratique ; pas créatives, car il ne s’agit pas d’une foire ! mais de création, parce que voyez-vous, chaque salle de bain est une création, votre création. Et que nous souhaitons précisément sortir de la salle de bain lambda. (C’est d’ailleurs dit avec une telle autorité qu’on en sortirait en courant, avant d’être prié.) Au-delà, c’est tout le design et toute la créativité de l’univers des arts du bain et de la toilette qui sont offerts à nous ici. Point final.

Pour un projet aussi précis et ambitieux, la vitrine de loin est particulièrement floue. Un amas grisâtre et lumineux, comme une nuée, signale vaguement la présence de carrelage et de lampes. De près, c’est le magasin de salle de bain ; une baignoire trône dans la vitrine, arborant fièrement un robinet design et deux trois serviettes soyeuses. Une bouteille de savon liquide sans marque, mais tout en élégance décore le tout ; on n’a pas osé la bougie. Ne manquent que de belles personnes et le tableau sera parfait, se dit le passant. Mais en même temps, qui se lave vraiment comme ça ?

«  Tu as vu, elle est comme la salle de bains de nos vacances, fait remarquer une passante à son passant.

—Tu n’y penses pas, ça coûte une fortune ! »

Quelques jours plus tard, elle retournera voir.

A l’intérieur, c’est un environnement de douceur musicale (ambiance zen, de compilations achetées à cette fin) et lumineuse (tamisé, tout doit être tamisé). Ici, tout vous invite à prendre soin de vous. Le prix et l’esthétique exceptionnelle traduiront votre détermination à prendre réellement soin de vous. Sur la droite, il y a tout ce qui a trait à la douche et à la baignoire, au bain en somme. Des cabines de douche, des baignoires, des tubes, des tuyaux, des robinets sophistiqués vous promettent des moments d’extase sous les traits aquatiques. Deux douches à l’italienne, grandeur nature, sont installées dans des salles de bain de démonstration, lisses et propres, vierges de tout salissement humain, et montrent s’il le fallait les nombreux avantages en confort comme en accessibilité de ces solutions qui débordent de moins en moins (on l’assure, essayez ! vous enjoint le vendeur). C’est vrai aussi que les voisins en ont une, ainsi que les beaux-parents…

A gauche, c’est le monde de l’accessoire ; depuis la serviette (une superbe panopolie de linge de bain moelleux, au fond, contre le mur, de toutes couleurs, tout au long, sur des belles étagères…que ferme un ensemble de peignoirs princiers). Avant cela, partout, les petits détails qui rendent la salle de bain intéressante à vos invités indiscrets, agréable et fonctionnelle à votre famille : socles de brosses à dents, porte-savons, sous forme de plateau ou de fixation murale (cela revient à la mode, même si cela prête à contreverse), savons, pantoufles absorbantes, tiroirs, rangements de toutes sortes, petits miroirs, accessoires de rasage…

On baigne dans un monde pastel et blanc, tantôt hôtelier, tantôt hospitalier. Il faut un peu de cela, pour concrétiser l’impression à la fois de soin et de petits soins. La toilette, c’est une affaire sérieuse.

Paris, le 23 juin 2014.

A Aurélie et Sébastien.

Tout pour la salle de bain

Vous savez, le confort, ça se construit. Et c’est ici que vous trouverez le plus beau des conforts : celui d’une toilette magnifique. La toilette la plus belle, c’est celle que vous avez prévu : douche, douche italienne, douche américaine, baignoire, italienne, belge, de Perse. Baignoire à l’allemande, avec des bulles, façon spa. Baignoire à l’ancienne, à pieds. Baignoire à la japonaise, dit-on en plaisantant, parce qu’elle est tout en miniature, qui pourrait être un gros bac de douche. Pourtant, je crois avoir vu ça en Allemagne… se dit le passant.

Les robinets sont les accessoires de la vitrine, qui montre sans trop de pudeur de belles cabines de douche accollées à des bouts de plomberie. Mais les belles images font rêver. On a démédicalisé, désimperméabilisé les salles de bains, ces dernières années, explique le vendeur au client curieux. On continue à faire de la céramique, des carrelages, et tout, disserte-t-il en vous montrant un bel ensemble baignoire, miroir et bois exotique (d’où vient-il…). Mais aujourd’hui, on n’hésite pas à poser une baignoire à l’ancienne sur un plancher et à intégrer un évier dans un meuble en bois. Comme autrefois ! s’exclame-t-il en riant. Ah, mais on y revient. On a détruit les traditions, et finalement, c’est pour mieux les retrouver, s’accorde-t-on toujours ici.

Tout, tout, tout, pour la salle de bain, chante la pub à la radio que le patron a payé. Sur la radio locale et sur une ou deux radios communautaires, car dans la ville, ça aide. Une portugaise et une en arabe, et la radio nostalgique que tout le monde aime bien. Dans les deux cas, le slogan revient toujours. Ici, on en est très fier. Fabrication maison, pas besoin d’agence de pub. Dans le magasin, on passe la radio nostalgique, ça met de l’ambiance, et on rentre à la maison avec des chansons plein la tête. Pour le déjeuner, il y a l’Intermarché en face, et sinon, une pizzeria et un truc à paella un peu plus bas. Le café c’est à côté aussi, bar PMU, on a viré un vendeur l’an dernier qui y gaspillait tous ses salaires et arrivait en retard. Un accro. J’espère qu’il s’est soigné depuis, soupire sa collègue.

En ce moment, ça tourne pas mal, mais on a connu mieux. A une époque, vous explique la vendeuse, les gens venaient ici et achetaient sans compter. Bon, ils se posaient moins de questions, concède-t-elle. Ca c’était avant. Mais maintenant, d’un autre côté, on a vraiment de belles choses à vendre. De moins en moins de pastel. On ne se croit plus du tout à l’hosto. C’est plus les salles de bain à Papa ! maintenant, c’est l’hôtel trois étoiles !

L’innovation court partout : dans ces lavabos qu’on peut mettre sur une cuvette de toilettes ; dans ses robinets qui font couler l’eau comme si elle tombait d’une roche, d’une cascade ; dans ces douches qui vous arrosent de partout, à ne plus rien y comprendre. Partout dans ces salles de bain, on se prend pour Cléopâtre ! on se prendrait pour une Vahinée ! on se croirait chez les Naïades ! ça tourne beaucoup, dans l’entrepôt. Les délais de livraison doivent être de plus en plus serrés ; les gens ne supportent plus d’attendre. Et les intermédiaires sont coriaces.

On a innové dans les délais de paiement, aussi. Six fois, sans frais. Ca a été compliqué au début, mais ça passe mieux auprès des clients. Et maintenant, on fait beaucoup, beaucoup d’accessoire. Car ça fait revenir, et puis, au fond, une salle de bain, c’est le projet d’une vie. Vous avez vu ces petits crochets à ventouse ? C’est pour accrocher les serviettes. Et ces porte-savons ? Oui, on a aussi ça pour les gels-douche.

Il faut toujours regarder ce que les gens font chez eux. Quand ils sont invités à dîner, le patrons et ses fidèles employés s’attardent toujours un peu dans les salles de bain, histoire de voir. Ceux-là, ils avaient des coquillages ! Eux, ils avaient le chien dans la baignoire ! raconte-t-on en riant le lundi matin au café. Parfois ça donne des idées, et parfois c’est écœurant. Vous savez, on en voit, de ces choses ! Dés que ça touche à l’intime…

 

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Paris, le 14 avril 2014.

A Perrine Benhaim, bon anniversaire.