Le primeur souterrain

par Frédéric Benhaim

    Ce qui manque le plus, c’est la lumière du jour. En hiver, quand les journées sont courtes, on entre ici et on en sort de nuit. C’est une nuit éternelle et ça a quelque chose de très particulier. Quand je repense au pays, je suis ébloui, je n’en crois pas mes yeux d’avoir vécu dans tant de lumière.

Dans une station de métro éloignée de son lieu d’habitation en grande banlieue, le vendeur de fruits et légumes officie ici chaque jour, proposant des denrées fraîches dans cet univers de pierre et de ciment. Une explosion tropicale qui surgit au détour d’un couloir et rafraîchit la lueur des néons.  Parfois, vous vous arrêtez pour acheter une banane, parce qu’au fond c’est meilleur que d’acheter une barre chocolatée à la machine, et que vous en avez encore pour une bonne demie-heure.

Ici, à force de voir des millions de passants défiler, ils finissent par en reconnaître. Et comme dans toute boutique de quartier, il y a son lot d’habitués. Un vieil homme vient ici tous les matins et prend une pomme. Quelques dames font leurs emplettes sur le chemin du retour, c’est toujours ça de fait. On fait des promo en permanence ; on vend à la criée aussi, quand on a de la voix. C’est à mi-chemin entre le marché et le stand. Quelques spots éclairent les fruits d’une lumière jaune, chaleureuse, et rien que cela suffit pour attirer les passants égarés dans tant d’obscurité lumineuse. Nous sommes comme des mouches, répète-t-il en riant, il nous faut de la lumière. Bien placé pour le savoir…

Au loin, on entend, sous le bruit des pas, les musiciens postés à leur endroit, jouant tantôt de la musique chinoise traditionnelle, tantôt de la musique d’Amérique latine. En fait il y en a deux, et souvent ils se disputent le volume de leurs interprations respectives. On voit de tout, dans le métro, vous savez.

Il y a, comme de bien entendu, des promos sur les bananes cette semaine, sur les oranges, et un arrivage de mangues. On coupe les mangues et on offre des clementines à la dégustation. Les clients aiment bien. Goûter un fruit paraît naturel ; nous sommes loin des vergers mais le réflexe est toujours là. Bien sûr qu’il y a des voleurs, mais on sait y faire ! vante le vendeur, et puis, quand on n’y prend garde, il y a les rats…
Au Pakistan, son grand-père et son père étaient aussi vendeurs. C’est un métier, c’est un gène, dit-il en rigolant. Il y a toujours un Parisien qui traîne sur des pommes, c’est comme ça qu’il a appris à maîtriser le français.

Paris, le 1er mars 2015.