Le magasin de sport

par Frédéric Benhaim

Artère passante, bruyante même, où circulent de nombreuses personnes, véhicules, animaux. On entend des travaux, quasiment toute l’année. Il y a toujours quelque chose en cours ; et depuis le temps, la direction aurait pu intenter un procès. Il fut un temps où cette enseigne n’existait pas et où ce magasin était encore une entreprise familiale, LESUEUR SPORTS. Mais c’est fini, et la chaîne X a repris la boutique, l’a agrandie, a embauché de nouveaux vendeurs ; c’était il y a longtemps ; il n’y plus de vendeurs de cette époque.

Aujourd’hui officient en maillot, pantalon noir et baskets noires ou grises de jeunes étudiants ou professionnels qui veulent aller loin, en veulent, et c’est pour ça qu’on les embauche.

Les vitrines sont toujours à la mode de la saison, c’est-à-dire, au sport de circonstance. Au loisir, sinon : plage, sports d’hiver, randonnée, camping, basket, tennis. (Le tennis est un peu passé de mode. Il a perdu de sa superbe populaire depuis les retraites de Borg et de Noah…) Elles sont artificielles, résolument : peu de paysage, une ou deux photos, beaucoup d’articles, des mannequins, noir plastique couleur brosse à cheveux… du sac, des chaussettes parfois, un ou deux slogans accrocheurs.

Le lieu respire la philosophie des marques de sport ; celle d’un monde en compétition. Aller plus loin. Agir. Faire, tout simplement. Sauter plus haut. Etc. Quelquefois, on met en avant la solidarité du sport. La symbolique des JO. Le concert des nations, dans la sueur. Le nouvel épique. La beauté du geste. Au fond, on a du mal à trouver le sport populaire, dans ce temple du sport populaire. Le client aspire à autre chose qu’à lui-même, à en croire les images, le son et les rayons.

Ceux-ci nécessitent un savant apprentissage : ils se méritent. Il y a comme un bric-à-brac organisé dans les casiers de métal, les rayonnages de fer (?) blanc, les portants, les cintres en plastique par terre, les chaussures de caoutchouc qui ornent le mur aussi densément que les tableaux au Louvre d’avant, du noir au blanc en passant par les orange, les rouge et les jaune (la couleur, c’est la tendance).

Autant de marqueurs d’identité : chaque rayon a ses habitants, ses citoyens, ses sujets. Les ados sont aux basket. Les jeunes professionnels au tennis, à la course, au ski. Les familles, ça dépend : ski et hurlements de gamin en hiver, plage et hurlements de gamin en été, à quoi s’ajoutent les esssayages frustrés du rayon maillot de bain. Car il y en a peu pour les grandes tailles, dans le magasin. On promeut la forme : entrez-y pour y rester. Enrichissez-vous, a dit Guizot, et aujourd’hui, chez X, il dirait Soyez en forme.

D’ailleurs, d’articles de sport, le magasin est devenu pharmacie, médecin traitant du sportif prévenant, et même chamane : pilules, breuvages à base de protéines (d’origine animale, obscure) ou de plantes naturelles, vivifiantes, miraculeuses, aideront le sportif stressé, grassouillet, ou le coureur à puiser dans une réserve d’énergie nouvelle.

La moquette fine est couleur de terrain de basket : on peut y pratiquer le roller et le patin à roulette, faire glisser des ski, ou s’asseoir en essayant une chaussure sur un pied endolori.

On passe une musique dynamique, répétitive, redondante, qui fait acheter, et qui donne mal à la tête à certains, mais à force, on ne l’entend plus.

Paris, 30 juillet 2012.