Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Tag: comestibles

Le primeur souterrain

    Ce qui manque le plus, c’est la lumière du jour. En hiver, quand les journées sont courtes, on entre ici et on en sort de nuit. C’est une nuit éternelle et ça a quelque chose de très particulier. Quand je repense au pays, je suis ébloui, je n’en crois pas mes yeux d’avoir vécu dans tant de lumière.

Dans une station de métro éloignée de son lieu d’habitation en grande banlieue, le vendeur de fruits et légumes officie ici chaque jour, proposant des denrées fraîches dans cet univers de pierre et de ciment. Une explosion tropicale qui surgit au détour d’un couloir et rafraîchit la lueur des néons.  Parfois, vous vous arrêtez pour acheter une banane, parce qu’au fond c’est meilleur que d’acheter une barre chocolatée à la machine, et que vous en avez encore pour une bonne demie-heure.

Ici, à force de voir des millions de passants défiler, ils finissent par en reconnaître. Et comme dans toute boutique de quartier, il y a son lot d’habitués. Un vieil homme vient ici tous les matins et prend une pomme. Quelques dames font leurs emplettes sur le chemin du retour, c’est toujours ça de fait. On fait des promo en permanence ; on vend à la criée aussi, quand on a de la voix. C’est à mi-chemin entre le marché et le stand. Quelques spots éclairent les fruits d’une lumière jaune, chaleureuse, et rien que cela suffit pour attirer les passants égarés dans tant d’obscurité lumineuse. Nous sommes comme des mouches, répète-t-il en riant, il nous faut de la lumière. Bien placé pour le savoir…

Au loin, on entend, sous le bruit des pas, les musiciens postés à leur endroit, jouant tantôt de la musique chinoise traditionnelle, tantôt de la musique d’Amérique latine. En fait il y en a deux, et souvent ils se disputent le volume de leurs interprations respectives. On voit de tout, dans le métro, vous savez.

Il y a, comme de bien entendu, des promos sur les bananes cette semaine, sur les oranges, et un arrivage de mangues. On coupe les mangues et on offre des clementines à la dégustation. Les clients aiment bien. Goûter un fruit paraît naturel ; nous sommes loin des vergers mais le réflexe est toujours là. Bien sûr qu’il y a des voleurs, mais on sait y faire ! vante le vendeur, et puis, quand on n’y prend garde, il y a les rats…
Au Pakistan, son grand-père et son père étaient aussi vendeurs. C’est un métier, c’est un gène, dit-il en rigolant. Il y a toujours un Parisien qui traîne sur des pommes, c’est comme ça qu’il a appris à maîtriser le français.

Paris, le 1er mars 2015.

Aux bières du monde

Il y a pas mal de bières sur les étagères de cette boutique, et elles viennent du monde entier. Bien sûr qu’on a les deux trois bières locales, look hipster branché, la typo années 50 qui s’impose. Bien sûr qu’on a ça, mais ça va beaucoup plus loin. On appelle comment une cave à vins… de bière ? La biérothèque ? La cave à cervoise ?

On dit que c’est bon pour la santé, le malt, le jus fermenté. Que ça entretient  la flore intestinale, que c’est nourrissant, qu’au moins c’est une eau qu’on peut boire, tout ça tout ça. On peut être santé et aimer la bière. D’ailleurs ça se prend aussi en cachets. Les magazines l’ont réhabilitée : votre partenaire, votre amoureux ou amoureuse avec son ventre rebondi, est en réalité un yogi. Vous découvrez la personne sous un autre jour. C’est elle qui avait raison…

Ici, on ne s’embarrasse pas de prétextes, on aime et c’est tout.

C’est drôle de voir les amateurs se succéder. Il y a les rockers, les Allemands exilés, les Russes, Tchèques, et Brésiliens (vous seriez étonnés, d’ailleurs on vend de l’Antarctica). Des Asiatiques mais ils ont déjà accès aux marques chinoise et japonaise assez facilement ; ce qu’on trouve plus difficilement, ce sont les marques thaïes, par exemple, ou coréenne. Car ici, on a vraiment de tout. Des spots à la lumière jaune, presque comme dans un théâtre, mettent ça en valeur : on dirait une collection de musée.

La bière est universelle, non il ne faut pas choisir entre elle et le vin, elle et le jus ou entre la bière et le bien-être. J’ai un client qui adore la bière et qui boit de l’eau de coco après son jogging. Ca n’empêche.
La variété est là : bières rousses, blondes, vertes ( à la spiruline, ça vient des Vosges !… les bouteilles, grandes, petites, moyennes et de toutes les couleurs avec une myriade d’étiquettes de toutes fantaisies, depuis l’allemande et la belge décorées de moines à la bière énergétique en passant par la mexicaine frappée d’un cactus. S’il fallait refondre les Nations Unies, on pourrait faire appel aux bières, a pensé le diplomate fatigué. Mais l’intérêt réel, dit la vendeuse, de tout ce manège, c’est la conversation permanente que l’on a avec les clients. Ils adorent en parler, et partant de là, on parle de tout : de leurs pays, de leurs origines, de leurs aspirations et projets de voyages. De leurs souvenirs. De leurs ruptures et de leurs amours, de leurs amis et de ceux qui l’aiment ou la détestent. Moi, y a rien à faire, quand c’est amer, je n’aime pas, explique-t-elle en rangeant quelques bouteilles dans les cageots qui servent d’étagère. Le bois fait du bruit ; il travaille en permanence, surtout le parquet, un peu vieilli, un peu rayé, un peu grisé par les pas et les livraisons. J’ai beau être vendeuse de bière. Du coup, je préfère celle-là. Faut assumer. Pas de figure obligée.

Paris, le 16 février 2015
A Alex, qui aime bien la bière.

Le magasin de fruits secs

En Californie, les fruits secs c’est un mode de vie : en rando (sachets santé), au petit-déj (granola), enrobé (raisins au yaourt), en vrac (sur le marché de producteurs). En Allemagne aussi, ça se vend au grand public dans une parure sportive, un peu comme si c’était des chaussures Adidas (vous savez, ces paquets jaunes qu’on emmène en montagne…). Le fruit sec, c’est la rencontre du randonneur bio et de l’Iftar. De l’Atlas et de Big Sur. De la tarte pomme amandes et du brunch au soja. C’est là que ça se passe, aux rayons du soleil qui dorent cette denrée de l’avenir (enfin, quand c’est fait à l’ancienne), nourriture des astronautes et des stations spatiales, des Dieux grecs et des Pharaons (on retrouve des figues séchées dans les pyramides), tendance délicieusement chic qui a débarqué dans nos restaurants branchés… Le magasin, lui, n’est pas branché, mais on s’en fout, car les gens qui y entrent le sont. Y a pas de fioriture sur la devanture, la police d’écriture est banale, en fait il n’y a rien d’écrit sur la vitrine. Ici, on n’a pas vraiment de vitrine : elle donne sur les rayons et tout est vendu en vrac.

Le truc avec le fruit sec, c’est qu’il passe partout, l’air de rien, avant de se faire remarquer : sucré, salé (en tarte ou en salade, ou avec le gibier, tout ça – voire le livre de recettes sur le présentoir). Le dimanche, le patron vend au marché, rive gauche, car autrement, il ne fait pas son chiffre.
Il faut voir que s’il a une « base » de clients adeptes, il y en a aussi qui s’y arrêtent, l’occasion d’en faire un goûter. « Ici, pas de pub ni d’emballage, que du bon produit ».

Pour attirer le passant, il multiplie les initiatives. Certes, on a la banane, l’abricot et la figue, mais maintenant, j’ai aussi de la mangue, du kiwi, des airelles, du goji, tiens, goûtez ça, c’est super bon à la santé, comme il dit… (Il est Vosgien, là-bas on dit « à la santé »…) Une dame, convaincue que le fruit sec est l’avenir de sa forme, repart avec une variété de petits sachets en papier. Son fromage blanc ne sera plus jamais le même.

Paris le 8 février 2015

La pâtisserie de choux

De loin, on dirait une petite maison de poupées ; un petit carré de lumière dans le soir de décembre. C’est le magasin de choux à la crème. Le mois dernier, le blog influent Mon Paris Mode a décrété : « le chou, c’est le nouveau cupcake ».

Ainsi, nous y sommes. Le chou, c’est le nouveau cupcake. Ici, vous en trouverez de toutes sortes. Mais d’abord, où sommes-nous ?

Dans une rue à la mode, mais pas totalement passante, car il fallait pouvoir payer le pas de porte, ce que la fondatrice avait du mal à faire. La vitrine est entièrement transparente : elle donne à voir des plateaux de choux, des boîtes et de grandes cloches vitrées posées sur le comptoir et derrière la vitrine de gâteaux qui est à gauche.

Le comptoir ne se suffit pas à lui-même : un bar à choux est dressé contre la paroi droite du magasin. Quelques client s’y adossent parfois pour manger un chou et boire un espresso.

Vous pouvez demander des boîtes pour vos choux ; elles sont très jolies ! pour Noël, c’est idéal. Pour vos copains, pour vos copines, c’est top ! Bref, le chou, c’est la convivalité, c’est le partage. Et vos profiteroles vous remercieront.

Une seule vendeuse officie car l’espace est petit ; c’est un couloir. Au fond on fabrique, et c’est transparent. Un pâtissier roule de la pâte et manie une grande seringue à crème. On voit même le four, derrière une vitrine. On utilise les meilleurs ingrédients : crème bio, farine pâtissière. On a même pensé à faire une option vegane. Pour le chou, on ferai tout (c’est d’ailleurs le slogan que la patronne n’a finalement pas retenu).

D’ailleurs, en matière de chou, on teste tout ! choux au chocolat, choux au poivre, choux basilic-citron, ou chou au matcha… Toutes les garnitures et tous les fourrages sont possibles. En fait il y en a une dizaine, car pour bien faire, on ne peut pas tout faire. Les plébiscités sont les coquelicot, et le fruit de la passion. Et bien sûr, le chou classique. On vend aussi des tablettes de chocolat pour faire de la profiterole ce soir. Vos invités vont adorer. C’est la nouvelle cuisine française : on innove !

Avant Noël, là encore, les gens se bousculent. Ce weekend, on n’a pas arrêté de travailler, souligne la vendeuse. On dirait que ça reprend soupçonne la patronne avec une pointe d’ironie. Qui sait. En attendant, pour se remonter le moral, il suffit de gober un chou…

Paris, le 22 décembre 2014.

L’épicerie fine japonaise

La boutique est en travaux, c’est peu habituel, mais du coup, certaines animations régulières comme la cérémonie du thé ou les lectures du vendredi après-midi n’auront pas lieu. Nous sommes dans une boutique d’objets et de comestibles du Japon, mais comme souvent c’est toute une culture qui s’exprime dans le détail de minutieux emballages et de biscuits emblématiques. A la châtaigne ? Curieux, cela a un goût de sauce soja, on dirait des fortune cookies, mais pourtant c’est fort différent, c’est brun doré, c’est dur, cela croque comme du nougat d’Espagne. Les rayons, fait peu caractéristique, ce nous semble, du Japon, sont un peu un bric à brac : vers l’entrée, et plutôt sur la gauche, trouvez la vaisselle, la porcelaine plutôt, posée sur des tables et des étagères qui dans leu prolongement se transforme en bureau de caisse. Au fond, des thés en tout genre. Derrière le fameux bureau, on trouve des sauces, des condiments ; du Miso de plusieurs couleurs (c’est un champignon, c’est un peu comme un Maggi naturel)… de l’autre côté, vers la droite, plein de produits séchés, lyophilisés, à longue conservation. Des pâtes, des nouilles, des biscuits encore, des produits en boîte. Le passant curieux se transforme, pourvu d’avoir quelques euros, en consommateur avide de découverte. Rien n’est prémédité. L’accueil est agréable, mais économe : on est concentré, on travaille, on agit, on range, on coordonne les travaux. Là on va peindre, là on vient de finir. Ah oui, quand ce sera fini, ce sera très joli. Mais vous savez, ce que ça dure, les travaux… On n’en finit plus. A la fin, on est ruiné et content d’en être débarrassé. Mais oui, par-dessus le marché, quand vous pensez que vous arrivez au bout… il y a toujours quelque chose.

Alors on a mis le meuble des bonbons au milieu : il est face à vous quand vous entrez, c’est tentant, c’est magique ! des confiseries au yuzu, à l’agrume, aux haricots rouges bien entendu (si, si, vous allez voir, c’est pas mauvais), au matcha, au thé vert. Des boules gluantes de pâte de riz fourrées avec différentes mixtures sucrées, fabriquées avec les ingrédients précités. Testez ! faites-en des cadeaux, vous allez voir que ça marche pour les invités et les petits gestes.

Les sacs sont en papier, et en réglant vous remarquez qu’on a mis des origami aux différents coins de ce fameux bureau sur lequel sont éparpillés un ordinateur portable, le terminal de carte bleue, la caisse, et puis des cartes de visite. Avant de partir, vous vous aventurez encore dans le rayon des petits cadeaux, au fond, où il faisait sombre et où vous n’étiez pas allé, et là il reste des cerfs volants, des masques de papier, de petites figurines, des poupées et des kimonos…

Il faudra revenir avec les enfants, cela va leur plaire, dit une dame à son mari. Mais qu’est-ce que tu veux encore qu’on s’emm…e à les promener par ici un samedi, lui répond-il. Bon, je viendrai toute seule, grommelle-t-elle tandis que la porte à clochettes se referme, laissant la patronne à ses affaires.

 

Paris, le 19 octobre 2014.

Le magasin d’articles pour chiens et chats

Le paradis des toutous et des minets, c’est ici. Les propriétaires un peu gaga s’y pressent, qu’ils soient célibataires en âge de travailler et de mener une vie active mais néanmoins solitaire, ou adolescents, ou enfants, ou familles. La phrase type : Mais oui, hein qu’il aime ça, mon ___, mais oui, c’est bien mon grand. Ou : Ah, mais elle adore. Quelle chatte alors. Trop la classe. Bref, ici, ça respire l’enthousiasme et décidément par ces temps difficiles, il fait bon être vendeur de croquettes…. Ou, de jouets. Ici, on trouve de tout, de l’alimentation aux produits anti-parasitaires, en passant par les jouets. Le rayon jouet, c’est le Toys’R’Us du chien : petits canards en plastiques, nonos en toutes tailles, balles, ballons, de quoi soi-disant protéger vos savates. En réalité, constatent certains propriétaires, certains chiens n’ont que faire des jouets désignés, et se jettent, anarchistes patentés, sur les meubles et autres souliers. Ne parlons pas des chats qui adorent les pelotes de laines et faux squelettes de poissons (rayon suivant !) mais continuent de s’amuser à déchirer vos rideaux et couvre-lits. Mais qu’importe, car ici, on est au royaume de l’animal-roi. C’est plus qu’un chien, explique un propriétaire à un vendeur. C’est un compagnon. Et à son compagnon, on offre des…jouets.

A la caisse de ce magasin grand (90, 100, 120 mètres carrés ?) on trouve diverses petites annonces imprimées sur de petits papiers. Donnez à la SPA. Donne chiots. Psy pour chiens. Oui, le psy pour chiens, étape suivante de cette course folle à l’anthropomorphisme ? Ce qui n’est pas pour dire que les chiens et les chats ne sont pas intelligents, qu’ils ne peuvent s’émouvoir, bien sûr… Retour en rayon. Cette semaine, c’est la promo anti-vermine. C’est de saison, car en ce moment, les chiens et leurs maîtres retrouvent la forêt, et avec ça les tiques et autres insectes. On a beau aimer son chat, quand la maison est envahie de bestioles qui piquent, on peut être amené à se demander pourquoi on n’a pas préféré la peluche. Pour l’amour des animaux de compagnie, il y a donc l’insecticide.

La vitrine annonce l’opération mais met aussi en scène les nombreuses possibilités de jeu ouvertes par tous ces produits : niche d’appartement, en coussinets, véritable niche (il y en a au fond du magasin, mais c’est un peu démodé), myriade de petites balles, et maintenant, jeux « intelligents », qui répondent et stimulent le cerveau il est vrai trop peu stimulé ( ?) de nos fidos et matous.

Quelques amateurs d’aquarium et de poissons rouges se sont aventurés ici, mais on leur a répondu sèchement : on n’est pas une animalerie. Confondre un poisson rouge et un chien ! s’exaspère une vendeuse passionnée. C’est fou ce que les gens peuvent s’imaginer. Comme si l’enseigne n’était pas assez claire, sans compter les vitrines, et les grandes portes vitrées toujours ouvertes qui laissent à voir le paradis du dressage et de l’interaction qu’on trouve à l’intérieur. Assurément, il y a de quoi ici offrir beaucoup au meilleur ami des hommes ; ceci dit, voyons aussi cela comme une expérience humaine formidable : en observant l’animal, on se voit aussi soi-même comme vivant et comme être différent ; décidément pour un chien une balle n’a pas exactement le même sens. Ca me détend, aussi, dit un propriétaire un rien détaché, pas du tout nunuche. On a de telles semaines…

Dans le coin, à gauche de l’entrée, à côté des caisses, un coin à moquette aménagée pour parquer son chien. Bien sûr, ils sont autorisés partout mais cela permet d’être plus tranquille, et à cet endroit, on a pensé à un revêtement plastique, qui, pensent certains, aurait été utile chez nous

Dans les Vosges, 5 septembre 2014.

Le pralinier

            C’est drôle, disait la patronne à une journaliste de la presse locale, l’autre jour, il n’y a pas encore eu de mode de la praline. On a eu le cupcake*, le macaron, mais pas encore la praline. Pourtant c’est tout le savoir-faire français, la praline ! C’est même une invention unique, à recette unique, si vous grattez un peu. Certes beaucoup prétendent la fabriquer, mais la vraie, la vraie praline, a son Jérusalem comme le gâteau de Bélem a son…Belém.

            Au temps pour les métaphores. Ici, c’est rose, pastel et délicat ; on se croirait chez Pompadour, deux cents ans après. En Belgique, la praline rime avec chocolat (on appelle ça praliné) ; et c’est, pense la patronne des lieux, le dernier conflit franco-belge. (On cherche les autres…). Qu’importe ; ici on vend les deux. Il y a donc, d’un côté, les pralines, stricto sensu, les pralines d’après la tradition (pas si ancienne que ça), enfin sans chocolat, et les pralines belges, enfin, les chocolats, les pralinés.

Les pralines tradition sont là, plutôt roses, mais aussi vermeilles, et ils sont rassemblés dans de vastes plats sous des vitrines qui ceintrent tous les murs de la boutique et restreignent le champ de passage des clients. Ces vitrines sont couronnées de présentoirs, sur lesquels on a posé de petits paquets qui s’emportent et s’offrent ; tandis que pour les chocolats on peut prendre une boîte toute faite ou composer la sienne. Il fait toujours un peu frais, dans la boutique, histoire de ne pas laisser la chaleur abîmer les produits, en été ; en hiver, on chauffe peu, et les vendeuses préfèrent porter un chandail de plus. On est strict sur l’hygiène ; deux lavabos permettent de se laver les mains avant ou après avoir manipulé les produits. Regardons de plus près les pralines : on dirait des rochers échappés d’un bord de mer nordique ; on ne s’y promènerait pas ; c’est pour les mouettes. De la roche volcanique, aussi, avec cette couleur. Regardons par ailleurs ; au rang des chocolats, ce n’est que petits motifs exquis et formes particulières : triangles, carrés, rectangles, petits cubes.

L’ingrédient de base, derrière tout cela, ce sont les noix : amandes et noisettes principalement. De nos jardins et du sud de l’Espagne ou encore de Californie (on parle d’une sécheresse qui fera monter les prix l’an prochain) viennent ces petites roches comestibles (les Anglais disent stone fruit) qu’on écrase et qu’on monte en pâte ou encore en débris mariés à du chocolat (à la belge) ou à du sucre caramélisé (à la française). A l’arrière, on fabrique : il faut faire travailler plusieurs apprentis. Dommage que ce ne soit pas à la mode, se dit-on chez les patrons, parce qu’avec tout ce qu’on a comme coûts. La santé ? mais il faut bien se faire plaisir, c’est bon à la santé, répondent-ils. Et de fait, ils ne sont pas gros, ni l’un, ni l’autre. Je fais attention, vous savez, explique le mari de la patronne. Ca ne m’empêche pas de me faire plaisir de temps en temps. Après, on mange moins au fil des années ; c’est comme le chocolatier. Bien sûr, on y garde goût, mais avec le temps, on aime aussi manger une orange toute simple ou une pomme ; si j’en abusais, imaginez dans quel état je serais. Pour moi, pense une passante, les pralinés rappellent les mariages, avec leurs dragées et leurs pièces montées. C’est la même famille, répond, tout de go, le mari de…

Paris, le 21 septembre 2014.

A Perrine Benhaim : cool, je viens à Bruxelles demain.

* Lire aussi : le magasin de cupcakes

Le magasin d’huiles

 

Pour une fille qui n’aime pas spécialement manger et qui détestait la salade, c’est un drôle de boulot. Le magasin d’huiles et de condiments vinaigrés propose toute une série d’huiles (olive, noix, sésame, tournesol….). Les bouteilles trônent sur les rayons, de toutes parts, dés la vitrine (il n’y a pas de vitrine ; ce ne sont que des flacons d’huile). Dans la lumière du jour les liquides ont une qualité particulièrement sirupeuse. C’est ce que la vendeuse s’amuse à observer les après-midi d’été, quand pas une âme ne passe la porte et qu’il faut attendre patiemment 18h58 pour fermer la boutique dans la joie. A dix-neuf heures une elle est déjà dehors ; qui, se demandait-elle au début, qui va donc venir ici acheter des bouteilles d’huile à ce prix ? Les clients sont arrivés au compte-gouttes (sic) et elle les a découverts : des passionnés d’huiles (!), des cuisiniers, des cordons bleus. Tu vends des huiles ? lui a-t-on demandé à Noël ; oui c’est ça a-t-elle répondu, l’air sérieux et un brin détaché.

Le patron se montre peu ; il vient une fois par semaine vérifier que tout va bien ; c’est un passionné de gastronomie qui tient une société de conseil. Mais vraiment ? tu vends des huiles ?

Lui a décidé il y a quelques années qu’il fallait importer ces incroyables élixirs qu’il goûtait en Italie, ces huiles d’olive au goût pincé, si élaboré, salé et fruité et élaboré et parfois un peu amer. Ca ne se trouve pas ici, expliquait-il à son banquier, lui-même amateur de bonne cuisine. Ca fait du bien de voir quelqu’un venir ici pour de bonnes choses. Ras-le-bol des salons de coiffure ! lui a dit le conseiller de banque, qui est devenu un client fidèle. Ils vendent aussi du vinaigre et des condiments, dit la vendeuse à la tablée pour se rattraper.

Le décor doit rappeler la Méditerranée : il y a du jaune, du plancher beige, beaucoup de bois, des photographies au mur de vergers et d’huile dorée s’écoulant d’une bouteille dans le vide, des branches d’olivier. En vérité, c’est plutôt une boutique d’huile d’olive ici. Le reste, c’est un peu de la figuration. En cela, il y a toutes les régions : le sud de la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Turquie, l’Afrique du nord. Les oliviers poussent et on vient en goûter le fruit ici. On a du pain et de la foccaccia pour les dégustations, sur une console où il y a aussi un couteau, et de petites assiettes pour tremper l’huile et éviter d’en mettre partout. Depuis qu’elle travaille ici, la vendeuse s’est mise au beurre. C’est un goût qui rassure, confie-t-elle en privé ou aux vrais habitués devenus presque des amis.

Le modèle économique lui échappe un peu ; qui sait comment le patron s’y retrouve, avec aussi peu de ventes. Elle a déjà essayé de faire le calcul, mais elle a dû se tromper quelque part. Quelque chose ne colle pas. Après, ce n’est pas son affaire, du moment que le salaire tombe (il n’y a pas de variable). C’est peut-être sa danseuse ! se dit-elle au sujet du patron et de son magasin. Et puis il y a le magasin de jeux de stratégie en face, et son employé un peu lunaire mais mignon à sa façon ; avec une copine et l’une ou l’autre des clientes elles en parlent parfois et observent ses allées et venues.

Quelque part entre Paris et New York, 13 juillet 2014.

La baraque à frites

Sur la Grand’Place, la baraque a fière allure. Elle trône comme un carrousel, et rappelle qu’à côté de la grandeur et de l’histoire de la vieille ville, il y a le besoin de se nourrir. Et celui-ci est aussi un plaisir quotidien ; une affaire de parfums et de saveurs.

La baraque est blanche ; elle est préfabriquée ; on dirait une installation de chantier. Elle est ouverte devant, tout le long, et l’ouverture est protégée par un auvent ; elle a une porte sur le côté, fermée à clé (sait-on jamais) ou au contraire ouverte (c’est plus pratique). Quand vous approchez, l’odeur de la friture vient ravir vos narines. C’est si bon ! et si peu sain, mais qu’importe ; certains disent qu’il est sain de se faire plaisir. Et c’est pratique ; à toute heure, et quand on est pressé, on mange un cornet en passant, en allant, en faisant autre chose, ou assis sur un des bancs de la grand’place dont les corbeilles sont comme des annexes à détritus pour la baraque à frites.

Il y a plein de parfums, plein, plein ! ça va de la brésilienne à l’arménienne en passant par la flamande ou l’albanaise. Dit autrement, ananas, (…), carbonnade, (…). Ca s’ajoute. C’est cumulatif. L’effet d’empilement des sauces fait tout le frisson des adolescents. Plus tard, vous savourez ça nature, ou avec un peu de sel. Le secret, c’est la graisse, qu’on ne trouve pas ailleurs. Le patron a un peu d’embonpoint mais pas trop ; sa femme, c’est pareil. Ils font tous les deux attention, malgré tout, et puis travailler dans une baraque à frites, c’est comme travailler dans une boutique de chocolats ; à force, on s’habitue, et on n’est pas tenté tout le temps.

Le tout se mange comme ça, avec de petites fourchettes dans votre cornet de papier. En hiver, quand le froid vous mord les os, ça réchauffe un peu, et d’ailleurs, ici, on vend aussi du café. Café frites c’est original et c’est parfait contre les basses températures et surtout l’humidité. Pour une raison qui nous échappe, pourtant, la friture est universelle. On dit qu’elle était une façon commode d’assurer la désinfection des aliments, un peu comme l’eau bouillante. Mais, remarquent les passants en nombre, elle a plus de goût ! même les adeptes de la santé s’y arrêtent. Ca ne vaut, la santé, que si on y déroge de temps en temps.

Paris, le 7 juillet 2014.

A Claire Marynower, pour m’avoir donné l’idée.

Le magasin d’épices

 

De Marco Polo à Dune, le monde des épices est envoûtant, éclatant et lumineux ; l’épice une poudre mythique dont la terre d’origine s’éloigne toujours à mesure qu’on s’en rapproche. Un magasin d’épices est le droit héritier des comptoirs portugais et vénitiens ; des grandes expéditions ; des caravanes et des caravelles. Tout doit se ramasser en vrac comme de précieuses poudres réchappées du voyage et du désert. Idéalement, il faut ramasser ça dans un vêtement ample et ensuite laisser tomber des mains comme ferait Picsou avec son or. Dans leurs petits flacons, les épices ont gardé quelque chose de cette miraculeuse rareté. Le personnel, en noir et derrière de grands tabliers noirs, se tient à votre bienveillante disposition.

Tout est ainsi disposé : au centre de cette grande maison du condiment, des gousses de vanille classées par provenance et par force, nommées selon les îles (troublante est la nostalgie de leurs noms d’Ancien régime…). Sur les côtés, sur des rayons de bois clair posés sur des miroirs, qui glorifient chaque produit et couleur, il y a une myriade de petits flacons prêts à la commercialisation. On trouve aussi, en contrebas, et pour faire plus authentique, quelques sacs de sables jaune, rouge, ou noir, et de grandes jarres.

On vend les épices classiques : cannelles, curry, curcumas, poivres de toutes les couleurs. Mais aussi les choses auxquelles vous êtes moins habitués : les herbes, les racines, les baies. Il en vient de partout ; et aujourd’hui encore, le cours de l’épice est élevé. Aujourd’hui encore, les bonnes épices sont dures à trouver. Aujourd’hui encore, on doit importer bon nombre d’entre elles, sans quoi nos légumes tempérés ne se fieraient qu’à leur propre goût mouillé et vert. Avec l’épice, ils sont relevés, ils deviennent cosmopolites et différents. Même la vieille courge est transformée. Certes, à y regarder de plus près, bon nombre de légumes sont venus d’autres continents, et bon nombre de plats traditionnels sont en fait tributaires d’épices et donc de ces mouvements de caravanes d’autrefois et de cargos d’aujourd’hui. Témoins le pain d’épices, le vin chaud…

Sait-on les vraies conditions de consommation de ces trésors de goût et de senteur ? Tout l’enjeu est là de nos jours : savoir comment on boit vraiment le thé, comment on assaisonne vraiment les plats, comment on doit manger le piquant. Comme si nous ne pouvions, tout simplement, faire ce qui nous plaît. Témoin le curry wurst : qui aurait pu prévoir une telle monstruosité culinaire, pourtant si appréciée ? La querelle des Anciens et des Modernes, des puristes contre les fusionnistes, fait ici rage. Entre l’AOC et la Cuisine nouvelle, il vous faut choisir ? ou bien, ne serait-ce que savoir. A cet effet, des livres sur les épices sont disposés dans des casiers éclairés par des néons cachés, sur un fond miroir. EPICES. SPICES OF THE WORLD. EPICE MON AMOUR. On croirait des unes de Géo. Au fond, si vous ne pouvez partir en voyage, et/ou que Samarcand vous paraît trop loin, il vous reste toujours le magasin d’épices. Ce n’est pas qu’une affaire de cuisine, même s’il faut bien reconnaître qu’en matière de goût il y a bien épice et épice. C’est une affaire d’ailleurs, d’ici ; et d’ailleurs…

 

Paris, le 12 mai 2014.

Aux enfants des rues, encore une génération sacrifiée.