Le magasin de bérets

par Frédéric Benhaim

Quoi qu’on en dise, c’est le symbole du Français ; il est partout. Partout dans notre imaginaire, dans l’univers rêvé du bonhomme à la baguette en pull marinier. Il est sur la tête du gars au gros pif à qui la caricature fait refuser la réforme, peindre une Tour Eiffel ou manger du fromage. Le Monsieur-tout-le-monde de la Gaule éternelle, celle qui incorpore les nouveaux venus en leur mettant un béret sur la tête et en leur faisant jouer à la pétanque…. Hein ?!

Quoi qu’il en soit, ici c’est pas du béret de base qu’on vend. C’est du béret quali. Du béret de luxe, en quelque sorte. Le genre de béret qui ne se trouve pas sur la tête de votre grand-père. Oui, car ici, on a voulu le réhabiliter. Certes, il y en a qui s’y sont essayés dans les années 90. Vous vous souvenez des Kangol ? A n’en pas douter, la France reste l’un des premiers marchés au monde, et pour le créateur de cette boutique, il y a de la place sur le segment premium.

Mais passons sur le concept de marketing : décrivons le lieu. Ici, c’est parquet et fauteuil de cuir, ambiance Chesterfield. C’est étonnamment Nouvelle Angleterre pour un truc de franchouillard. Ou, disons, Cercle Inter-Alliés. Il y une jolie vitrine, une jolie boutique aux couleurs très masculines (« des sombres, c’est très masculin »). Les chapeaux sont exposés de manière éparse ; pas d’étagère.

Ils sont variés en couleur, du rouge au gris foncé, de la laine vermeille au tweed anthracite. Il y a de quoi faire. On vend aussi des cannes, mais c’est presque plus de la déco qu’autre chose. Il y a un tapis, rouge foncé, bordeaux, genre kilim, mais pas tout à fait. Ici, on n’épouse pas le genre, on l’essuie. De justesse. Pas la peine de s’y enfoncer, il faut être léger, il faut être partout mais n’être rien. Rien de caractérisable, rien qui puisse se nommer ; on échappe à la norme et à la définition. La moustache ancienne façon, nouvelle façon, du type qui s’assoit à la caisse. La typo années 50 de la vitrine (encore celle-là !). Les gants, les écharpes, les pull, entre le chic et le branché et le désuet, pour ne pas dire le ringard. Où est-on  ? Dans l’autre dimension, dans notre époque qui ne sait plus ce qu’elle est. On se croyait moderne, hein, on pensait ne plus vivre certaines choses, mais regardez le monde, finalement, on a l’impression de revenir au Moyen Age. Ca fait relativiser. Alors, les bérets osent les couleurs contradictoires, et jurer comme le rouge et le bleu. Ils peuvent être revisité ; ils peuvent même revenir à la mode. Dans ce monde incertain, on s’accroche à la tradition, en voulant la re-décorer, en espérant qu’en elle il y ait au moins du vrai. Les passants s’arrêtent peu car dans le quartier on met peu de bérets, mais on sait ici, qu’un jour, ils y viendront tous !

 

Paris, le 23 février 2015.
A tous les porteurs de béret, ancienne ou nouvelle façon.