Les Commerces

Recueil en ligne d'histoires (fictives) sur le commerce de détail. Parution chaque lundi, à 16 heures. Par F.Benhaim.

Tag: Asie

L’épicerie fine japonaise

La boutique est en travaux, c’est peu habituel, mais du coup, certaines animations régulières comme la cérémonie du thé ou les lectures du vendredi après-midi n’auront pas lieu. Nous sommes dans une boutique d’objets et de comestibles du Japon, mais comme souvent c’est toute une culture qui s’exprime dans le détail de minutieux emballages et de biscuits emblématiques. A la châtaigne ? Curieux, cela a un goût de sauce soja, on dirait des fortune cookies, mais pourtant c’est fort différent, c’est brun doré, c’est dur, cela croque comme du nougat d’Espagne. Les rayons, fait peu caractéristique, ce nous semble, du Japon, sont un peu un bric à brac : vers l’entrée, et plutôt sur la gauche, trouvez la vaisselle, la porcelaine plutôt, posée sur des tables et des étagères qui dans leu prolongement se transforme en bureau de caisse. Au fond, des thés en tout genre. Derrière le fameux bureau, on trouve des sauces, des condiments ; du Miso de plusieurs couleurs (c’est un champignon, c’est un peu comme un Maggi naturel)… de l’autre côté, vers la droite, plein de produits séchés, lyophilisés, à longue conservation. Des pâtes, des nouilles, des biscuits encore, des produits en boîte. Le passant curieux se transforme, pourvu d’avoir quelques euros, en consommateur avide de découverte. Rien n’est prémédité. L’accueil est agréable, mais économe : on est concentré, on travaille, on agit, on range, on coordonne les travaux. Là on va peindre, là on vient de finir. Ah oui, quand ce sera fini, ce sera très joli. Mais vous savez, ce que ça dure, les travaux… On n’en finit plus. A la fin, on est ruiné et content d’en être débarrassé. Mais oui, par-dessus le marché, quand vous pensez que vous arrivez au bout… il y a toujours quelque chose.

Alors on a mis le meuble des bonbons au milieu : il est face à vous quand vous entrez, c’est tentant, c’est magique ! des confiseries au yuzu, à l’agrume, aux haricots rouges bien entendu (si, si, vous allez voir, c’est pas mauvais), au matcha, au thé vert. Des boules gluantes de pâte de riz fourrées avec différentes mixtures sucrées, fabriquées avec les ingrédients précités. Testez ! faites-en des cadeaux, vous allez voir que ça marche pour les invités et les petits gestes.

Les sacs sont en papier, et en réglant vous remarquez qu’on a mis des origami aux différents coins de ce fameux bureau sur lequel sont éparpillés un ordinateur portable, le terminal de carte bleue, la caisse, et puis des cartes de visite. Avant de partir, vous vous aventurez encore dans le rayon des petits cadeaux, au fond, où il faisait sombre et où vous n’étiez pas allé, et là il reste des cerfs volants, des masques de papier, de petites figurines, des poupées et des kimonos…

Il faudra revenir avec les enfants, cela va leur plaire, dit une dame à son mari. Mais qu’est-ce que tu veux encore qu’on s’emm…e à les promener par ici un samedi, lui répond-il. Bon, je viendrai toute seule, grommelle-t-elle tandis que la porte à clochettes se referme, laissant la patronne à ses affaires.

 

Paris, le 19 octobre 2014.

Le magasin de bibelots chinois

Soixante siècles d’histoire vous contemplent du bas de ces étagères. Concentrées, miniaturisées, reproduites à l’infini, toutes les grandes œuvres sont ici, au détour d’un boulevard parisien : la grande muraille, les Bouddha de plusieurs styles et époques, les multiples chats souriants (Lewis Carroll serait-il allé en Chine ?) qui vous narguent de leurs vœux de bonheur, les pendentifs rouges, les lampions, les statuettes soldatesques du mausolée de l’empereur Qin, comme surgies de Terre et rétrécies par le voyage. Tout est là, et plus encore : les grands monuments, certes, mais aussi l’art de vivre, les arts de la table (de délicieuses baguettes, le plein de théières à la façon kaolin, de la vaisselle), de petits objets (des tigres, des panda, des baguettes d’encens).

Il y a les pendentifs de jade et de bois précieux, situées dans une petite vitrine qui fait aussi comptoir, à droite de l’entrée. La surface du magasin ne fait pas plus de vingt mètres carrés ; elle est achalandée comme pour quarante ; une dame d’un certain âge trône derrière la vitrine et vous accueille d’un sourire. Essayez-le, Monsieur, vous dit-elle nonchalamment (vous avez peut-être envie, Monsieur, de porter un collier de jade, et puis qu’est-ce que ça lui fait). Ca vous irait bien Madame, dit-elle à votre amie. Le jade nous fascine.

Plus loin, sur le mur qui face à l’entrée, il y a quantité de calendriers chinois. Curieux comme le calendrier chinois a survécu à l’iPhone. Il n’en est pas tout à fait de même du calendrier des pompiers, si ? C’est joli, en tout cas, et décoratif, et cela montre, au-dessus d’un reposant paysage de collines, un dragon ! D’ailleurs, des dragons, il y en a en quantité dans cette boutique ; gonflables, illustrés, en figurine ; il y a même des bouts de costume pour le Nouvel An. De même que vous n’avez plus besoin de voyager pour voir (Google vous emmène en visite virtuelle partout), vous n’avez plus besoin de voyager pour vous acheter des souvenirs. Pour ceux à qui le souvenir marque le voyage, cela cause une sorte de trouble. Si on peut s’acheter la babiole partout, à quoi bon voyager ? Surtout, comment montrer qu’on y était vraiment ? Il faudra se reporter sur les objets d’un artisanat plus rare et précieux, qui sont assurément introuvables chez soi. Ces beaux objets sont à trouver dans les boutiques design et les villages reculés ; c’est pourquoi, s’il est chic d’acheter dans la boutique de babioles en bas de chez soi, sur place, il vous faudra opter pour l’artisanat d’art, ou, rien du tout : voyager léger, et rapporter de là-bas, croquis, objets rares, ou expériences à raconter. Ce dernier point implique une plus grande témérité culinaire, une plus grande propension à essayer la ruelle sale qui recèle peut-être un trésor d’authenticité, ou enfin, à emprunter ce sentier escarpé que personne d’autre n’a vu, près de la Muraille, et qui vous fera déboucher sur une véritable scène locale, avec de petits vieux qui jouent aux échecs, ou au jeu de go, que vous prendrez en photo, et qui vous fourniront par leur seule présence une vision que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

Pour revenir à notre affaire, vous trouverez tout de même ici d’originaux cadeaux d’anniversaire, petits objets à offrir à vos invités, ou décorations de salle de bain. Les étudiants adorent : c’est moins loin qu’Ikea, et plus exotique que la petite ville dont on vient. Quelques années durant, ils seront de grande valeur ; un jour, ils auront valeur sentimentale ; et dans un futur incertain, la maladresse d’un enfant joueur, ou la lasse malveillance d’un conjoint faisant place nette en aura peut-être raison.

Procida, le 30 juin 2014.

 

A Bertrand Gartner ; à sa deuxième jeunesse.

A Vanessa et Benjamin Miler-Fels.

Le supermarché asiatique

Au supermarché traditionnel, il y a quelques marques célèbres qui proposent depuis vingt ans les produits d’Asie : sauce soja, nems, ou chips de crevettes. Mais dans l’ensemble, cela reste pauvre et la qualité n’est pas au rendez-vous. Les connaisseurs viennent au supermarché astiatique. Asiatique, vous savez, cela ne veut rien dire… Aucun rapport entre la Turquie et le Japon. Mais on appelle ça asiatique, et on parle d’Extrême-Orient, et ça nous parle à nous, vu d’ici.

Au supermarché asiatique, donc, vous trouverez tout ce qu’il faut en fruits, sauces, desserts curieux. Commençons par le dessert justement : lait de coco, riz, taro, tapioca, herbes vert vif ! Haricot rouge, haricot mungo ; les légumes et les féculents les plus banals se transforment en délices ! Un peu comme notre pain perdu qui devient un plat sucré. Tout ça est conservé dans un frigo ouvert, où chacun peut se servir, et provient d’une fabrication ostensiblement artisanale, ce qui rassure certains clients et en effraie d’autres. Allez-vous vous essayer à goûter le dessert vert vif trempé dans le lait de coco ? Oserez-vous étonner les convives de ce dîner chez des gens un peu traditionnels ? Les plus audacieux feront le pas sans hésiter pour surprendre éduquer et provoquer.

Les fruits viennent de loin mais ils sont beaux à voir ; il y a quelque chose de dépaysant, comme un morceau de chaleur et de Tropiques, dans une mangue qui traîne sur une avenue en décembre. A se demander pourquoi les cafetiers ne décorent pas leurs tables d’ananas au lieu de les chauffer au gaz. Les pommes, poires, oranges, tout ce que vous croyez connaître et dont vous ne savez que la version espagnole sont toutes différentes. Venir ici c’est voir qu’ailleurs, on ne fait pas comme ici…

A l’intérieur, c’est propre, mais ça sent plus fort que chez X-marché ou Y-four. En fait, ça sent tout autant chez Super-V ou T-Mart, mais pour vous, le fromage, c’est normal, et ici, l’odeur du poisson, c’est normal. D’horribles néons éclairent tout d’une lumière froide de réfrigérateur. Supermarché oblige. Les carrelages au sol sont beiges. Supermarché oblige. Et comme dans le hard discount, vous avez le sentiment qu’entre le hangar et le lieu de vente, il n’y a jamais vraiment eu de transition. Qu’importe, car vous vous promenez avec votre panier, et avec lui, vous êtes en voyage.

Difficile, au début, de tout explorer. C’est comme dans une librairie : il y a trop à voir, ça finit par donner le tournis. Tout un rayon est consacré à des conserves qui proposent de merveilleuses choses à base de tofu et soja : fausse viande, tofu en sauce huileuse, tofu en sauce piquante, tofu en sauce salée, et le tout peut accompagner légumes ou viande, selon que vous soyez végétarien ou simplement amateur. Juste après, il ya les alcools : alcools de riz , bières chinoises, thaïes, japonaises, et puis des bouteilles aux colorations plus ou moins réussies : alcool de letchi, par exemple. Souvent le packaging est banal, mais les images, les caractères, les produits évoqués perdent le consommateur européen en un choix simple : t’essaies, t’essaies pas. Si c’est vendu, et si quelqu’un en mange, c’est que ça doit pouvoir se manger, s’est dit l’un ou l’autre des clients peu habitués un jour ou l’autre. On les reconnaît parmi les clients de tous les jours, qui conversent avec les dames à la caisse. Ils et elles prennent leur denrée comme vous et moi à la boulangerie ; sans façon. L’objet de l’attention n’est plus l’achat. Pour le curieux, il n’en est pas ainsi, et sa façon peu assurée de tenir ses achats, de les porter, et même de les poser sur le tapis et de les emballer lui donne un air puceau, comme quelqu’un qui irait au magasin pour la première fois. Imaginez l’impression ! t’es jamais venu dans une superette ou quoi ? — Je n’ai jamais vu ça…

Paris le 23 novembre 2013

Aux autres petits-fils d’Elie, en particulier Jérémie Bouaziz et Yoram Elkaïm.