Le kiosque

Dans cette station souterraine, le passage est continu. Quand il y a des travaux, ou une grève, le chiffre d’affaires baisse, subitement. Autrement, il faut faire attention aux vols.

Surveiller. Savoir tout faire à la fois : la caisse, les renseignements, la vente. Pour se simplifier la vie, une consœur, commerçante à Auber a accroché une pancarte à l’entrée de sa boutique :

NO CHANGE. NO INFORMATION.

Marre des touristes.

Ici, on vend pourtant des journaux pour eux : The Guardian, El Pais, le Herald Tribune. Pour tous, l’Officiel et le Pariscope (depuis le temps, on se demande comment ils ont fait pour ne pas se bouffer le nez). C’est le Coca et Pepsi de la presse spectacles. Les gens qui achètent ça pour avoir de la monnaie…. (NO CHANGE.) Femme Actuelle. Ca m’intéresse. La presse spécialisée. Sciences. Ordis. Spéléo. Catcheurs. Etc.

Des mouchoirs, des briquets, des cartes cadeaux iTunes. Les petits objets se vendent bien. Petits guides : les livres faciles se vendent bien. Suppléments (ça quadruple les prix et ça fait râler les clients, dans certains cas même ça décourage la vente). J’y suis pour rien, vous comprenez. Ils arrêtent pas d’en rajouter, ils savent plus faire un journal mais ils vendent des DVD.

L’odeur de papier glacé et d’encre hante l’air de derrière le comptoir ; il plane au-dessus des publications. Pourtant des millions de pas, de souffles se succèdent, dans ce couloir, jour après jour, heure après heure, année après année. Dans la lumière grise, blanche, les titres et les couvertures blanches ou blanc-grises ressortent bien. Mais la patronne du kiosque voit peu le jour. Travailler dans le métro, c’est comme être chauve-souris, vampire ou mineur. Ou, si vous préférez, quelque chose de mieux.

Il y a quelques habitués fort caractéristiques : une dame avec des cernes qui vient pour ses mots croisés, plusieurs matins par semaine. Un homme distingué qui achète Le Monde. Pas de commentaire sur le porno, mais il y en a un peu. Des ados qui s’achètent les magazines de jeux vidéo, de jeunes hommes qui prennent des revues d’informatique…

Les gens s’arrêtent parfois plus qu’il ne faut. Y en a qu’il faut toujours chasser : ils liraient tout sans payer. Curieusement, quand une personne fait halte, d’autres aussi : c’est fort mimétique, les humains. Suivent aux cohues de grands blancs, des moments calmes où pas une âme ne se montre, même dans ce métro, ou ne s’arrête. Ou bien, c’est qu’à force, on ne les voit plus.

Avec la crise de la presse, pas une année sans grève, sans livraison : que ce soit rédaction, imprimerie, etc., c’est pareil, maintenant, ce n’était pas mieux avant.

Paris, le 30 novembre 2012.