Aux articles de pêche
par Frédéric Benhaim
La vitrine regorge de poissons. Plastifiés. De cannes, de fils, de bobines. D’images, et d’affiches : Championnat du Berry, 96. Finale carpe et truite, 2008, Cahors. Etc. Derrière la porte de verre (horloge de papier pour les heures d’ouverture, CB, Visa, Mastercard, CB, pas de chèque, pas de tickets restau) on pénètre dans une forêt de bâtons en aluminium, en titane, colorés d’orange et de rouge vif, une forêt de bambou ardent. Les cannes à pêche. Du plafond pendent des espadons miniature. Au mur, un portrait à prise, rapporté des Tropiques : on y voit le patron, un vieux loup de mer heureux et bronzé sur le pont d’un bateau, la turquoise à l’arrière plan, la bête sanglante au poing, suspendue à un fil.
Ici, la myriade d’objets pointant dans tous les sens, de poissons, d’univers et de couleurs, vous perdent. Au fond on ne sait plus où on est, ici, ailleurs. A côté du cadre à plot, un trophée, sans doute, de pêche ; des appâts polychromes, qui tels des poissons de récifs attirent…votre regard. Tout sent le sport, les rivières, les lacs, et la mer. La chasse, la pêche. La nature. La tradition immuable. L’attente tranquille, sur la berge. L’échappée, de sa femme, de son mari, pour prendre quelques heures et regarder l’avenir ou le présent différemment. Pour manipuler des vers de terre dans une boîte, comme si on allait les manger.
Ici tout se mélange : la mécanique de la mort, les hameçons, les fils, les appâts trompeurs, même quelques harpons ; les couleurs, l’évocation de la vie submarine, celle qu’on voudrait conquérir ou observer, dompter, mater, renvoyer à l’eau en l’ayant transpercée à la lèvre ; l’évasion, le loisir, les dimanche ensoleillés, les chapeaux verts à hameçon, les grandes bottes, l’eau jusqu’à la taille, le lancer de la mouche, le bruit du ruisseau, le silure, le saumon, les petits poissons, la boue qui se disperse dans l’eau claire, les silures, le « sport ». Tout ça ensemble.
La pêche, c’est une contrée au Panthéon, aux artefacts, et aux espèces à part, une société, la société des hommes qui pêchent. Rythmée par des congrès, des retrouvailles, des clubs tout-puissants, où la politique peut être pire qu’au Congrès des Etats-Unis, au Sénat romain ou dans les pires groupuscules. Une religiosité à part entière. Une évasion. Mais aussi un ensemble de valeurs : une vie sauvage préservée, parfois organisée en étangs et réintroductions. Ici tout ça se mêle, on aime se raconter ses aventures, on aime être du niveau du patron avec qui on discute. On aime venir ici passer une heure ou deux, acheter un ou deux objets, converser, en être. A travers la vitrines, de minuscules fils relient le lieu à mille hommes et femmes dans tout le quartier et ailleurs.
Paris, le 6 mai 2013.