Le magasin de caméras

par Frédéric Benhaim

Il y a une seule vitrine, remplie d’étagères d’objectifs noirs et gris, comme autant d’yeux qui vous regardent ou vous ignorent. La vitrine inversée. Ces objets sont déjà d’un autre siècle ; ils guettent nonchalamment le passant dans une conversation d’images à travers le temps. A l’intérieur, passée la porte de verre à cartes postales et affiches, à heures d’ouverture griffonnée au stylo sur une feuille de cahier rayée, scotchée à l’emporte-pièces, à panonceau OUVERT, vous trouverez une moquette rouge décatie, d’autres vitrines à étagères et à appareils divers, et un comptoir rayé à force d’être gratté par des appareils, objectifs, bandoulières, housses, pièces de monnaie, montres et trépieds. On vend quelques appareils neufs, numériques, des Leica, la grande marque allemande que tout le monde s’arrache. Image de cristal, tableaux de verre. Mais l’argentique a toujours sa secte, fidèle et dévouée, prête à dépenser toujours plus en pellicules, développement, abonnement en club photo, transformation de salles de bain, acceptation des odeurs chimiques, voire des rhumes et boutons, achat de papier Ilford ou autre. Car le grain de la photo à l’ancienne, la retraite de la chambre noire, dans cette époque d’iPhone infernaux et de flash infos continus, ça vous donne une épaisseur que les autres n’ont pas. Apprenez la photo, vous apprendrez à regarder le monde autour de vous, ses mille images permanentes, toutes passionnantes et paradoxales. D’ailleurs maintenant que tout le monde en fait, il vous faut l’appareil à l’ancienne, le ruban noir, la housse, la bandoulière, en somme l’habit, la cuirasse, la soutane du photographe. Plus c’est ancien, plus vous faites pro. Maintenant que chacun prétend être son propre Cartier-Bresson, il vous faut des pièces à l’appui.

Ce qui fait qu’ici, sous les affiches des grands photographes et les logos des grandes marques américaines, japonaises, allemandes, on voit le temps passer tranquillement. Bien sûr que le chiffre a baissé, que les gens ne sont plus les mêmes, mais le vintage touche aussi au loisir de l’image, et dans l’emportement généralisé à saisir chaque seconde qui passe, les appareils photos à l’ancienne se portent bien. Vous vous essayez à la photo, vous commencez avec votre téléphone, et un jour vous vous lancez, et on vous félicite, et c’est votre passion, et en plus ça se vend bien, le marché explose.

Paris, le 29 avril 2013.

A Jennifer Huxta, une « vraie ».