La poissonnerie

par Frédéric Benhaim

Sur leur lit de glace, les poissons vous regardent, passifs, mais vigilants dans leur étourdissement. Je me souviens, disent-ils, vengeurs, au cas où ils se réincarneraient en requin, et qu’un jour vous faites un peu trop le fanfaron au large d’une plage.

C’est l’odeur qui trahit la mort ; l’odeur de la mer, dit-on, l’odeur aussi de sa moisson merveilleuse et funeste. Tous ces poissons sont étalés devant vous ; il y en a de toutes les mers, océans, et d’eau douce, il y en a de toutes les sortes. L’abondance de la création aquatique vous est offerte. Un véritable aquarium du palais. Ici, vous n’êtes plus au stade final de la chaîne de la pêche. Vous êtes au stade premier de la gastronomie.

Il est temps, justement, de penser à la cuisson : les poissonniers y sont souvent disserts ; ici, on vous recommande même les années pour le blanc qui se devra de figurer aux côtés de votre espadon. Songez-y, c’est le moment à n’en point douter. Il faut tenter aussi les épices, dont on vend quelques spécimens, pardon, pots importants.

La poissonnerie tient à peu de choses. Quelques mètres carrés donnant sur rue, presque toujours grande ouverte, sans vitrine. Ca favorise le passage et la curiosité, c’est bon pour le commerce. Quelque chose de ce métier n’a pas changé avec le temps. On continue à couper les têtes, à trancher, à découper des filets. Les clients supportent de moins en moins les arêtes, d’ailleurs. Au mur, des cartes des océans et des images culinaires, car les deux sont liés par la généalogie de la fin et de la chasse. Le père se souvient de la morue de Terre-Neuve, ça c’est fini. Au sol des carrelages beiges que l’on lave le soir au jet d’eau (ça part dans la rue).

Le poissonnier porte un tablier blanc en plastique que le travail tâche de rouge et de brun. Il y a des gants en latex, mais il n’hésite pas à empoigner les poissons. Les clients, poussés par la vague de l’alimentation saine, le déclin de la viande et la mode, se pressent. Le thon, par exemple, se mange désormais mi-cuit. Les « Saint Jacques », en tartare. Les sardines, à l’huile d’olive et aux tomates, pincée de sel et quelques herbes (de Provence). Le rouget, le saumon de l’Atlantique nord, les rascasses, sans oublier les éternelles huîtres et crevettes (grises, roses, pauvres mangroves…). Et les truites, ah, les truites, souvent en promotion…

Antibes, le  11 mai 2013.

A Jean-Noël Falcou et Hélène Romanini, pour le romarin, et le reste.

A Charlotte Richoux-Benhaim, qui n’aime pas le poisson.

A Linda Blanchet, pour la glace sur le port et pour tout.

Notez bien ! Les commerces en spectacle, le 16 juin à Paris