Aux jeux d’échecs
Les habitués sont de vieux messieurs aux coiffures hirsutes, aux vêtements amples et passés de mode ; ils portent des jean usés, des chemises bleu clair, très clair. Des casquettes. Un homme à dreadlocks porte une kipa à motif de ballon de basket. Une jeune femme joue avec un aspirant mentor, aîné de trente ans.
On parle de philosophie, de relations avortées, et d’échecs. Ici dans la salle du fond, pour quelques sous, vous prenez pour une heure de jeu, et si vous n’avez pas de partenaire, vous pouvez attendre un peu. On vous proposera de jouer à un moment donné. Les jeux sont des jeux standard, pas toujours complets : il faut parfois chercher les pions, les reines… Les tables sont de bois, les chaises sortent d’une école. Les photos et les poster décorent les murs ; il règne une odeur demi-marginale.
Devant dans des vitrines, on vend des jeux de collection ; des pièces anciennes, en ivoire, en bois exotique, et venant de tous pays. Toutes sortes de motif, de design, toutes sortes de pièces. Il y a les jeux à la pakistanaise, les jeux à l’italienne, les jeux à l’arabe, les jeux design des années 30… Les livres des grands maîtres, les vademecum, les manuels, tout cela aussi est réuni dans une bibliothèque anglaise à vitres, en métal gris.
On est ici un peu retiré du monde ; ou c’est ce qu’on met un point d’honneur à tenter. Ca ne marche pas complètement : il y a les sonneries des portables, les propos des gens bien de leur temps, les problèmes de chacun. Mais quand on est pris dans le jeu, qu’on voit les autres s’y dévouer, et qu’on entend la pendule du voisin, prêt à tout pour aller plus vite que son adversaire, tout semble englouti dans la réflexion, la méditation et dans le jeu fatal des pions.
A Emmanuel Maruani, pour la découverte et pour les parties d’échecs.
Paris, le 8 avril 2013.