La carterie

par Frédéric Benhaim

C’est dans une rue un peu touristique, un peu historique. Pavée, un peu de côté, un peu oubliée. Quelque part dans la vieille ville, aux abords, près du fleuve. Tranquille, dans l’ensemble. On y vend des cartes et de la papeterie diverse. L’enseigne dit : CARTES.

On a pensé que l’internet allait tuer le commerce des cartes et du papier, mais point du tout. C’est vrai que les beaufs s’écrivent désormais leurs condoléances par sms, pense la patronne, une rousse habillée de noir, un peu comme Sonia Rykiel, qui lit du Yourcenar et du Duras et qui voudrait ressembler à Lolita Lempicka. Les cartes postales, les cartes de vœux, tout cela existe encore et les gens intelligents continuent de s’en envoyer. On ne reçoit plus que des factures par la poste, alors de temps à autre, une pensée…

Le magasin s’est tout de même diversifié. Il y a les cartes, de plus en plus belles. Artistiques, humoristiques. Hallmark, c’est fini. On a su renouveler le genre. La patronne, pardon, Lolita, pense à faire des séries limitées, lithos, voire dessins d’artiste. Allons vers une qualité toujours plus irréprochable, pense-t-elle. A la chose que personne ne trouvera ailleurs. C’est ici que ça se passe. Tout ça est rangé sur de jolis présentoirs, le long d’un pan de mur, et comme sur des gradins les cartes regardent le client comme des spectateurs romains au cirque. Le gladiateur épistolaire pourra aussi détourner son regard vers des vitrines où des stylos Mont Blanc se côtoient, avec du Parker et d’autres marques, chrome, blanc, argent, rouge. Le stylet reste le luxe, la classe. Une souris d’ordinateur se jette ; d’ailleurs il y en a de moins en moins sur les ordinateurs portables. Un stylo, ça se garde. Des cahiers, le dernier carnet à la mode offert en dix formats différents, cuir et marque ressuscitée par des Italiens talentueux et adeptes du marketing profilé ; des cahers plus artisanaux, avec un papier à grain millésimé qui fait glisser la plume comme une bille sur un fleuve glacé, libre comme l’oiseau. Lorsque le stylet avance vite, c’est la pensée qui s’envole, explique-t-elle aux clients qui achètent pour leurs conjoints à la réflexion empesée.

Des enveloppes de couleur, des pinceaux pour les peintres du dimanche, aquarelles et quelques peintures rares. Du papier à calque même (on en vend de temps en temps à des écoliers affairés).  A l’intérieur, ça sent le papier neuf, le cuir poli et la librairie. Ca sent la concentration, la sueur au front d’amoureux qui cherchent leurs mots, les minutes perdues à écrire son journal et à sonder l’idée qui restera, sur la page.

Les murs sont blancs. Quelques gravures, des paysages, rapportés de voyage, en Hollande, au Québec, en Italie.

Dans la rue se sont regroupés d’autres artisans d’art et commerçants de choix. Un magasin d’antiquités industrielles. Un magasin de lampes années 70. Une galerie – espace d’exposition. Une librairie religieuse. Un vendeur de chapeaux. De temps en temps, on boit des cafés, mais pas trop, car si la clientèle ne se bouscule pas, le temps manque.