Le pralinier

par Frédéric Benhaim

            C’est drôle, disait la patronne à une journaliste de la presse locale, l’autre jour, il n’y a pas encore eu de mode de la praline. On a eu le cupcake*, le macaron, mais pas encore la praline. Pourtant c’est tout le savoir-faire français, la praline ! C’est même une invention unique, à recette unique, si vous grattez un peu. Certes beaucoup prétendent la fabriquer, mais la vraie, la vraie praline, a son Jérusalem comme le gâteau de Bélem a son…Belém.

            Au temps pour les métaphores. Ici, c’est rose, pastel et délicat ; on se croirait chez Pompadour, deux cents ans après. En Belgique, la praline rime avec chocolat (on appelle ça praliné) ; et c’est, pense la patronne des lieux, le dernier conflit franco-belge. (On cherche les autres…). Qu’importe ; ici on vend les deux. Il y a donc, d’un côté, les pralines, stricto sensu, les pralines d’après la tradition (pas si ancienne que ça), enfin sans chocolat, et les pralines belges, enfin, les chocolats, les pralinés.

Les pralines tradition sont là, plutôt roses, mais aussi vermeilles, et ils sont rassemblés dans de vastes plats sous des vitrines qui ceintrent tous les murs de la boutique et restreignent le champ de passage des clients. Ces vitrines sont couronnées de présentoirs, sur lesquels on a posé de petits paquets qui s’emportent et s’offrent ; tandis que pour les chocolats on peut prendre une boîte toute faite ou composer la sienne. Il fait toujours un peu frais, dans la boutique, histoire de ne pas laisser la chaleur abîmer les produits, en été ; en hiver, on chauffe peu, et les vendeuses préfèrent porter un chandail de plus. On est strict sur l’hygiène ; deux lavabos permettent de se laver les mains avant ou après avoir manipulé les produits. Regardons de plus près les pralines : on dirait des rochers échappés d’un bord de mer nordique ; on ne s’y promènerait pas ; c’est pour les mouettes. De la roche volcanique, aussi, avec cette couleur. Regardons par ailleurs ; au rang des chocolats, ce n’est que petits motifs exquis et formes particulières : triangles, carrés, rectangles, petits cubes.

L’ingrédient de base, derrière tout cela, ce sont les noix : amandes et noisettes principalement. De nos jardins et du sud de l’Espagne ou encore de Californie (on parle d’une sécheresse qui fera monter les prix l’an prochain) viennent ces petites roches comestibles (les Anglais disent stone fruit) qu’on écrase et qu’on monte en pâte ou encore en débris mariés à du chocolat (à la belge) ou à du sucre caramélisé (à la française). A l’arrière, on fabrique : il faut faire travailler plusieurs apprentis. Dommage que ce ne soit pas à la mode, se dit-on chez les patrons, parce qu’avec tout ce qu’on a comme coûts. La santé ? mais il faut bien se faire plaisir, c’est bon à la santé, répondent-ils. Et de fait, ils ne sont pas gros, ni l’un, ni l’autre. Je fais attention, vous savez, explique le mari de la patronne. Ca ne m’empêche pas de me faire plaisir de temps en temps. Après, on mange moins au fil des années ; c’est comme le chocolatier. Bien sûr, on y garde goût, mais avec le temps, on aime aussi manger une orange toute simple ou une pomme ; si j’en abusais, imaginez dans quel état je serais. Pour moi, pense une passante, les pralinés rappellent les mariages, avec leurs dragées et leurs pièces montées. C’est la même famille, répond, tout de go, le mari de…

Paris, le 21 septembre 2014.

A Perrine Benhaim : cool, je viens à Bruxelles demain.

* Lire aussi : le magasin de cupcakes