La baraque à frites
par Frédéric Benhaim
Sur la Grand’Place, la baraque a fière allure. Elle trône comme un carrousel, et rappelle qu’à côté de la grandeur et de l’histoire de la vieille ville, il y a le besoin de se nourrir. Et celui-ci est aussi un plaisir quotidien ; une affaire de parfums et de saveurs.
La baraque est blanche ; elle est préfabriquée ; on dirait une installation de chantier. Elle est ouverte devant, tout le long, et l’ouverture est protégée par un auvent ; elle a une porte sur le côté, fermée à clé (sait-on jamais) ou au contraire ouverte (c’est plus pratique). Quand vous approchez, l’odeur de la friture vient ravir vos narines. C’est si bon ! et si peu sain, mais qu’importe ; certains disent qu’il est sain de se faire plaisir. Et c’est pratique ; à toute heure, et quand on est pressé, on mange un cornet en passant, en allant, en faisant autre chose, ou assis sur un des bancs de la grand’place dont les corbeilles sont comme des annexes à détritus pour la baraque à frites.
Il y a plein de parfums, plein, plein ! ça va de la brésilienne à l’arménienne en passant par la flamande ou l’albanaise. Dit autrement, ananas, (…), carbonnade, (…). Ca s’ajoute. C’est cumulatif. L’effet d’empilement des sauces fait tout le frisson des adolescents. Plus tard, vous savourez ça nature, ou avec un peu de sel. Le secret, c’est la graisse, qu’on ne trouve pas ailleurs. Le patron a un peu d’embonpoint mais pas trop ; sa femme, c’est pareil. Ils font tous les deux attention, malgré tout, et puis travailler dans une baraque à frites, c’est comme travailler dans une boutique de chocolats ; à force, on s’habitue, et on n’est pas tenté tout le temps.
Le tout se mange comme ça, avec de petites fourchettes dans votre cornet de papier. En hiver, quand le froid vous mord les os, ça réchauffe un peu, et d’ailleurs, ici, on vend aussi du café. Café frites c’est original et c’est parfait contre les basses températures et surtout l’humidité. Pour une raison qui nous échappe, pourtant, la friture est universelle. On dit qu’elle était une façon commode d’assurer la désinfection des aliments, un peu comme l’eau bouillante. Mais, remarquent les passants en nombre, elle a plus de goût ! même les adeptes de la santé s’y arrêtent. Ca ne vaut, la santé, que si on y déroge de temps en temps.
Paris, le 7 juillet 2014.
A Claire Marynower, pour m’avoir donné l’idée.