Le magasin de bibelots chinois

par Frédéric Benhaim

Soixante siècles d’histoire vous contemplent du bas de ces étagères. Concentrées, miniaturisées, reproduites à l’infini, toutes les grandes œuvres sont ici, au détour d’un boulevard parisien : la grande muraille, les Bouddha de plusieurs styles et époques, les multiples chats souriants (Lewis Carroll serait-il allé en Chine ?) qui vous narguent de leurs vœux de bonheur, les pendentifs rouges, les lampions, les statuettes soldatesques du mausolée de l’empereur Qin, comme surgies de Terre et rétrécies par le voyage. Tout est là, et plus encore : les grands monuments, certes, mais aussi l’art de vivre, les arts de la table (de délicieuses baguettes, le plein de théières à la façon kaolin, de la vaisselle), de petits objets (des tigres, des panda, des baguettes d’encens).

Il y a les pendentifs de jade et de bois précieux, situées dans une petite vitrine qui fait aussi comptoir, à droite de l’entrée. La surface du magasin ne fait pas plus de vingt mètres carrés ; elle est achalandée comme pour quarante ; une dame d’un certain âge trône derrière la vitrine et vous accueille d’un sourire. Essayez-le, Monsieur, vous dit-elle nonchalamment (vous avez peut-être envie, Monsieur, de porter un collier de jade, et puis qu’est-ce que ça lui fait). Ca vous irait bien Madame, dit-elle à votre amie. Le jade nous fascine.

Plus loin, sur le mur qui face à l’entrée, il y a quantité de calendriers chinois. Curieux comme le calendrier chinois a survécu à l’iPhone. Il n’en est pas tout à fait de même du calendrier des pompiers, si ? C’est joli, en tout cas, et décoratif, et cela montre, au-dessus d’un reposant paysage de collines, un dragon ! D’ailleurs, des dragons, il y en a en quantité dans cette boutique ; gonflables, illustrés, en figurine ; il y a même des bouts de costume pour le Nouvel An. De même que vous n’avez plus besoin de voyager pour voir (Google vous emmène en visite virtuelle partout), vous n’avez plus besoin de voyager pour vous acheter des souvenirs. Pour ceux à qui le souvenir marque le voyage, cela cause une sorte de trouble. Si on peut s’acheter la babiole partout, à quoi bon voyager ? Surtout, comment montrer qu’on y était vraiment ? Il faudra se reporter sur les objets d’un artisanat plus rare et précieux, qui sont assurément introuvables chez soi. Ces beaux objets sont à trouver dans les boutiques design et les villages reculés ; c’est pourquoi, s’il est chic d’acheter dans la boutique de babioles en bas de chez soi, sur place, il vous faudra opter pour l’artisanat d’art, ou, rien du tout : voyager léger, et rapporter de là-bas, croquis, objets rares, ou expériences à raconter. Ce dernier point implique une plus grande témérité culinaire, une plus grande propension à essayer la ruelle sale qui recèle peut-être un trésor d’authenticité, ou enfin, à emprunter ce sentier escarpé que personne d’autre n’a vu, près de la Muraille, et qui vous fera déboucher sur une véritable scène locale, avec de petits vieux qui jouent aux échecs, ou au jeu de go, que vous prendrez en photo, et qui vous fourniront par leur seule présence une vision que vous ne trouverez nulle part ailleurs.

Pour revenir à notre affaire, vous trouverez tout de même ici d’originaux cadeaux d’anniversaire, petits objets à offrir à vos invités, ou décorations de salle de bain. Les étudiants adorent : c’est moins loin qu’Ikea, et plus exotique que la petite ville dont on vient. Quelques années durant, ils seront de grande valeur ; un jour, ils auront valeur sentimentale ; et dans un futur incertain, la maladresse d’un enfant joueur, ou la lasse malveillance d’un conjoint faisant place nette en aura peut-être raison.

Procida, le 30 juin 2014.

 

A Bertrand Gartner ; à sa deuxième jeunesse.

A Vanessa et Benjamin Miler-Fels.