Tout pour la salle de bain

par Frédéric Benhaim

Vous savez, le confort, ça se construit. Et c’est ici que vous trouverez le plus beau des conforts : celui d’une toilette magnifique. La toilette la plus belle, c’est celle que vous avez prévu : douche, douche italienne, douche américaine, baignoire, italienne, belge, de Perse. Baignoire à l’allemande, avec des bulles, façon spa. Baignoire à l’ancienne, à pieds. Baignoire à la japonaise, dit-on en plaisantant, parce qu’elle est tout en miniature, qui pourrait être un gros bac de douche. Pourtant, je crois avoir vu ça en Allemagne… se dit le passant.

Les robinets sont les accessoires de la vitrine, qui montre sans trop de pudeur de belles cabines de douche accollées à des bouts de plomberie. Mais les belles images font rêver. On a démédicalisé, désimperméabilisé les salles de bains, ces dernières années, explique le vendeur au client curieux. On continue à faire de la céramique, des carrelages, et tout, disserte-t-il en vous montrant un bel ensemble baignoire, miroir et bois exotique (d’où vient-il…). Mais aujourd’hui, on n’hésite pas à poser une baignoire à l’ancienne sur un plancher et à intégrer un évier dans un meuble en bois. Comme autrefois ! s’exclame-t-il en riant. Ah, mais on y revient. On a détruit les traditions, et finalement, c’est pour mieux les retrouver, s’accorde-t-on toujours ici.

Tout, tout, tout, pour la salle de bain, chante la pub à la radio que le patron a payé. Sur la radio locale et sur une ou deux radios communautaires, car dans la ville, ça aide. Une portugaise et une en arabe, et la radio nostalgique que tout le monde aime bien. Dans les deux cas, le slogan revient toujours. Ici, on en est très fier. Fabrication maison, pas besoin d’agence de pub. Dans le magasin, on passe la radio nostalgique, ça met de l’ambiance, et on rentre à la maison avec des chansons plein la tête. Pour le déjeuner, il y a l’Intermarché en face, et sinon, une pizzeria et un truc à paella un peu plus bas. Le café c’est à côté aussi, bar PMU, on a viré un vendeur l’an dernier qui y gaspillait tous ses salaires et arrivait en retard. Un accro. J’espère qu’il s’est soigné depuis, soupire sa collègue.

En ce moment, ça tourne pas mal, mais on a connu mieux. A une époque, vous explique la vendeuse, les gens venaient ici et achetaient sans compter. Bon, ils se posaient moins de questions, concède-t-elle. Ca c’était avant. Mais maintenant, d’un autre côté, on a vraiment de belles choses à vendre. De moins en moins de pastel. On ne se croit plus du tout à l’hosto. C’est plus les salles de bain à Papa ! maintenant, c’est l’hôtel trois étoiles !

L’innovation court partout : dans ces lavabos qu’on peut mettre sur une cuvette de toilettes ; dans ses robinets qui font couler l’eau comme si elle tombait d’une roche, d’une cascade ; dans ces douches qui vous arrosent de partout, à ne plus rien y comprendre. Partout dans ces salles de bain, on se prend pour Cléopâtre ! on se prendrait pour une Vahinée ! on se croirait chez les Naïades ! ça tourne beaucoup, dans l’entrepôt. Les délais de livraison doivent être de plus en plus serrés ; les gens ne supportent plus d’attendre. Et les intermédiaires sont coriaces.

On a innové dans les délais de paiement, aussi. Six fois, sans frais. Ca a été compliqué au début, mais ça passe mieux auprès des clients. Et maintenant, on fait beaucoup, beaucoup d’accessoire. Car ça fait revenir, et puis, au fond, une salle de bain, c’est le projet d’une vie. Vous avez vu ces petits crochets à ventouse ? C’est pour accrocher les serviettes. Et ces porte-savons ? Oui, on a aussi ça pour les gels-douche.

Il faut toujours regarder ce que les gens font chez eux. Quand ils sont invités à dîner, le patrons et ses fidèles employés s’attardent toujours un peu dans les salles de bain, histoire de voir. Ceux-là, ils avaient des coquillages ! Eux, ils avaient le chien dans la baignoire ! raconte-t-on en riant le lundi matin au café. Parfois ça donne des idées, et parfois c’est écœurant. Vous savez, on en voit, de ces choses ! Dés que ça touche à l’intime…

 

***

Paris, le 14 avril 2014.

A Perrine Benhaim, bon anniversaire.