La boutique éphémère

par Frédéric Benhaim

Le client est peut-être roi, mais ici, il vient d’abord voir ce qu’on a à lui montrer. Le magasin est né d’une rencontre, a écrit la journaliste dans la presse branchée, entre un cuisinier passionné d’exploration, deux artistes et une designer, et une « joyeuse bande » de collectionneurs, de penseurs, d’ « urbains ». Le résultat est là : une vitrine qui montre des bleus de travail, un environnement en béton qui vous invite à venir découvrir. Dedans, l’espace est pensé comme une galerie : c’est quoi ce truc…            « J’ai voulu explorer un univers nouveau », a dit Cynthia, la conceptrice des lieux, à Paris Renouvelé. « Montrer que la consommation et la connaissance pouvaient se mélanger, se féconder. » Et c’est chose faite : vous pouvez déguster des aliments asiatiques et choisir un livre pour votre esprit plus ou moins bien éclairé. On veut montrer l’esprit des temps a noté un bloggeur avide de tendances, après sa visite. C’est un commentaire social, un essai satirique tout autant qu’une entreprise commerciale. On n’en ressort pas indemne. Le porte-feuille l’est tout à fait, pourtant, après une visite vierge de tout achat. Si tous les magasins étaient comme ceux-ci, pense le badaud entré par erreur ou curiosité, je n’aurais pas besoin d’acheter autant. A vrai dire, je n’achèterais pas… La boutique est tout en enfilade : à gauche, des vitrines et des frigos, qui vous vendent des produits soigneusement choisis, plus sélectifs qu’au Monoprix gourmet, plus rares qu’à Grande épicerie : ils sont bons pour la santé, ils sont un peu exotiques, ils sont surprenants, ils sont à la mode. A droite, les livres, les DVD, les biens culturels, pour montrer qu’on s’affilie, qu’on sait où l’on se dresse, à quel camp on appartient, à quelle classe on se rallie. C’est Sonia Rykiel, qui, boulevard Saint Germain, a été une des premières à mettre des livres en vitrine ; rappel des lieux, rappel de ce qu’elle savait lire. Ici aussi, on s’y retrouve, on sait, on lit, on n’en parle pas, mais on affiche. Des vêtements décoratifs sur les murs montrent comment pourrait être la mode si on la suivait jusq’au bout ; les vendeurs (si telle est leur appellation) s’efforcent d’être mannequins. Des téléviseurs, des vidéo d’art, de la musique électronique mais artistique, tout ça est réuni, et dans le vide laissé par l’absence de marchandise, vous vous interrogerez sûrement : Qui suis-je ? Pourquoi consommer ? Etc.

On règle près des vitrines. N’oubliez pas d’en parler autour de vous.

Paris-Londres, 7 avril 2014.