Le magasin de modélisme
par Frédéric Benhaim
Des grandes batailles navales de la France, dont la funeste T***, de Salamine et de Lépante, il reste un souvenir ici, sous forme de petits bateaux en kit pour les passionnés. L’âge aérien, et l’ère spatiale, y sont aussi représentées, par des boîtes de taille variable qui promettent au client des heures et des heures d’ouvrage. Ici, le tombeau d’après-midi entières que vous auriez pu passer avec vos enfants, Monsieur le passionné, Madame la maquettaria, mais jamais vous ne regretterez votre passe-temps, même au seuil de la mort. Combien de divorces se sont consommés dans ces boîtes ? Le mobile ou le mariage ? Mais combien aussi d’unions sauvées par distraction-absorption d’un des conjoints, et ainsi indifférent aux tomperies ou éloigné des disputes ? Entré dans la construction et la manipulation de ces ouvrages, on oublie la frontière entre le passé et le présent, l’imaginaire et le réel. Il n’est pas de bâtisse qui ne soit destinée à gagner ; les victoires et les défaites se rejouent, et le parent des plus responsables retombe dans l’enfance la plus totale.
La vitrine est peu lisible, parce qu’elle est un amoncellement de boîtes et de modèles. On distingue : automobiles de toutes époques et nationalités (l’Allemagne, I’Italie, l’Amérique et la France se taillent la part belle, avec quelques Toyota, Aston,…)…,mais encore des avions, fusées, navires, et autres véhicules remarquables. Leurs boîtes se doivent d’épouser les dimensions du modèle miniature ; elles doivent le glorifier ; elles doivent le laisser entrevoir, donc, être transparentes au moins en partie. Il y a aussi les circuits de voie ferrée qui contournent les montagnes ; les aéroports ; les héliports ; tout ce qui permettra de vous garer… Voyez aussi les courses automobiles, qu’un génie semble avoir figé ! Mais la vitrine, c’est de la démonstration ; c’est du matériel d’exposition ; les vraies boîtes sont à l’intérieur, et toutes les pièces ne sont pas montées ; à l’intérieur des boîtes, ce n’est que pièces, bouts de bois et de carton, mille complexités pour celui que le lego faisait déjà rire à l’âge de sept ans. Trop facile !
Ce sont des projets d’ingénérie infinitésimale qu’il faut entreprendre lorsqu’on vient ici ; ne subsistent avec le temps que les plus forcenés. C’est entrer, à vrai dire, dans un club très fermé, très sélectif, d’individus, que de réussir une maquette, et d’en commencer une nouvelle. Une fois l’habitude prise, cela vous occupera, ne vous quittera plus. C’est comme un projet immobilier, toujours en miniature, sans le rendement et le déplacement de la télé. La même obsession. Vous voulez finir, tout le temps, et y songez toujours. C’est comme un ouvrage qui brûle entre vos doigts. Inachevée, votre maquette fera de vous une Pénélope velléitaire ; complétée, un Lesseps de salon, mais un Lesseps !
La boutique est petite, elle voyage du sol au plafond ; et à force d’illustrations guerrières et de boîtes, on s’y perd un peu. Le patron a une gestion un peu catastrophique de son stock ; il a perdu la trace, depuis les années, et on n’est pas sûr que tout soit tout à fait en règle. Qu’importe ; aucun inspecteur n’aurait la patience de se faner tout le détail. Ici, c’est pour ceux qui n’ont pas peur de fouiller.
Cannes-Paris, 20-22 septembre 2013.