Chez le taxidermiste

Le concept, c’est d’avoir l’animal chez vous. Résurgence d’une nature qui disparaît par ailleurs, se réduit comme une peau de chagrin. Des chasseurs, l’animal empaillé est passé au hipster via le cabinet de curiosité ressuscité par les créateurs de mode et les bars branchés. Peu importe que ça attire les bestioles, que ça prenne la poussière ; ici, on vous dira que c’est traité.

Le produit d’appel, en vitrine, c’est un ours, assis à une petite table, qui prend le thé avec un chevreuil. Chasseurs, vous pouvez faire faire vos travaux de taxidermie ici, on fournit de grands noms, et même une ou deux têtes couronnées. Dedans, ce n’est qu’oiseaux, chevreuils, faune sylvestre d’Europe, mais il y a aussi un zèbre, et une ou deux pièces rares (une tête de tigre). Tout le plaisir est que oui, ce sont bien des espèces protégées, mais qu’on est à l’abris car ceci a été acheté avant l’interdiction. A une époque, songe parfois le patron, on pouvait vraiment tout faire. Aujourd’hui ce n’est que contraintes, lutte contre les braconniers, disparition des animaux et demandes du marché chinois pour des aphrodisiaques. Le paradis est perdu.

L’espace est organisé de manière sommaire ; à gauche, une table ancienne qui sert de caisse, un peu comme dans une galerie d’art ou un magasin d’antiquités. Au fond l’arrière-boutique et un petit laboratoire (les travaux ne sont pas faits sur place). A droite, les grands animaux, à gauche une immense table d’oiseaux, en-haut des bustes muraux accrochés. Des étiquettes indiquent les prix, les références. Tout n’est pas à vendre, loin s’en faut. Ici on travaille, on récupère, on vend, on prend les dépôts en de certaines circonstances. L’an dernier, on a rentré un lion magnifique ; il n’est pas demeuré longtemps. On en a tiré un bon prix.

En termes de force commerciale, peu suffit ; il y a le patron, et parfois un assistant. Au-delà de cela, lui est à l’aise avec les défenseurs des droits des animaux. Ici, on ne travaille évidemment que sur des animaux chassés légalement et pour le reste ce sont d’anciennes pièces, des animaux déjà morts.

J’y suis pour rien.

Je me souviens, semblent répondre les bêtes au regard immobile.

Paris, le 16 septembre 2013.