Magasin de skate
par Frédéric Benhaim
Ici c’est plus qu’une boutique. C’est un centre social et communautaire. C’est un salon. C’est un showroom. C’est une exposition ; celle d’un mode de vie. T-shirts de couleurs vives, aux dessins humoristiques ou artistiques, représentant les scènes de la vie d’un skater. Celle où il parle à un extraterrestre. Celle où il parle à un hibou sur roues. Scènes de la vie psychédélique.
Ca se présente ainsi : devant, le magasin ; on y vend des vêtements, des boucles d’oreilles (une laine rigidifiée à couleurs bariolées, mais ça gratte, non ?), des pantalons, des sweatshirts à l’effigie des skaters et de cette ville si emblématique, pleine de collines dangereuses et exaltantes. On vend du matériel de réparation. On vend des roues, et des planches, seules, comme s’il s’agissait de planches de surf ; une lame décorée de dessins magnifiques et volubiles ; comme des tatouages sur un bois sacré.
A l’arrière, un espace de réparation, de montage, mais en réalité, c’est sur le comptoir, au milieu, que le patron, un petit homme blanc assisté de sa compagne asiatique, opère. Il est habillé en sweatshirts et en pantalon de cargo. Il porte de ces basket plates en toile qu’on vend aussi ici : légères, un rien habillées mais complètement sportives ! Vous voici chaussé pour les pins du Pacifique comme pour le bitume des villes californiennes. A l’arrière sa compagne travaille elle aussi sur des skateboard. Le skateboard a évolué avec les modes. Il était années 80. Il a été années 90. Il est années 2000, et 2010. Il ne bougera pas ; il reste, et continue d’évoluer, et de rassembler les jeunes générations, de plus en plus de filles, d’ici à Rio, d’ici à Paris.
Ici, c’est aussi un centre communautaire ; on apprend aux enfants comment rouler. Vous pouvez inscrire vos marmots. Les enfants tombent pas mal, oui, mais ils se remettent plus vite que les adultes, explique le patron au passant qui frissonne à l’idée des sauts et des chutes si coutumières. Ce goût de la glisse, de la vitesse et du danger, c’est notre façon de jouer avec les taureaux ; de courir parmi les lions ; de partir à la chasse et de risquer sa vie. Peut-être que certains d’entre nous ont gardé plus de gènes de chasseur-cueilleur. Peut-être que certaines filles et certains garçons ont besoin de libérer leur énergie. J’ai déjà tout entendu. Mais en observant tout cet art de vivre, toute cette société, le sens du mot « tribu » semble prendre tout son sens ; d’ailleurs, à côté, celle des cyclistes a élu domicile sur le même modèle, boutique, atelier et même café. Une vie en soi. Une vie à part. Un monde plus doux, mais plus casse-cou.
San Francisco, 11 août 2013.