La boucherie

par Frédéric Benhaim

Certains matins, quand le livreur vient avec les carcasses, le sang goutte par terre. Il est vite nettoyé, car tout doit être propre, toujours. Ca part en chambre froide, derrière. La boutique est simple. Il y a des vitrines, réfrigérantes, et dans les vitrines, des morceaux de viande : bœuf, porc, poulets et volailles, autruche, gibier, abats, agneau, veau… Toute la ferme, plusieurs races d’animaux étalent leurs tripes ici devant vous.

Dans les plats, des panonceaux à pique annoncent le prix sous un motif de fantaisie (un cochon qui sourit, une tête de vache qui vous fait un clin d’œil, etc.) Les couteaux, les plans de travail, sont derrière les vitrines, et de l’autre côté de la ruelle, contre le mur. Les couteaux ont leur crochet magnétique ; ils ne bougent pas. On vend ça sous forme crue, ou cuite. Ici c’est une maison qui privilégie la viande rouge ; mais vous pourrez aussi trouver des spécialités alsaciennes en saucisse et de la charcuterie de bonne qualité, du Sud-Ouest. Un peu de carottes râpées et de céleri remoulade (ça se marie très bien avec les steaks, en entrée ou en accompagnement).

Monsieur a un tablier blanc ; Madame est toujours coquette, mais pas de faux ongles, pas trop de bijoux. Les murs sont à l’instar des patrons : efficaces, simples : pas de décor, juste un panneau avec les prix et les occasions du jour. La profession de boucher est un respectable corps de métier, mais elle a toujours été suspecte pour quelques uns. Au Moyen Age, les bouchers avaient leur propre porte à l’église. Maintenant, ils sont en première ligne face aux adversaires de la viande ou lors des scandales sanitaires. Mais dans l’ensemble, c’est une relation de confiance avec les gens du coin, qui viennent depuis des années (la clientèle vieillit). Viande française. A part Noël et ses clients à farce, plus quelques clients traiteur de temps en temps (mais pas de couverts en plastique…) c’est essentiellement les mêmes gens.

On n’aime pas trop le changement du coup. Le style années  70, c’est efficace, et ça tient bien. C’est pourquoi l’enseigne Boucherie avec les lettre à bulle et la tête du veau souriant, qui a déjà un peu choqué, ça reste. C’est la frise orange, rouge et brun sous les vitrines, le carrelage beige à carrés rouge, jaune et noir. Ca fait la touche belge (ici, personne n’est Belge). C’est aussi pour cela que de la politique, on ne parle jamais sauf par ellipses, par les temps qui courent ou ils pourraient faire quelque chose chez nous aussi, avec tout ce qu’il y a de chômeurs ou encore des gens qui cherchent du boulot, et il y en a, et pourtant, c’est pas le travail qui manque. Les jeunes, qui savent bosser, il y en a peu.

Quand c’est vrai, c’est que ça ne peut pas être faux. On aime bien parler avec les personnes âgées, car elles ont le sens des choses et des valeurs immuables. Les jeunes (il y en a peu à la boucherie, car ils préfèrent le pas bon pas cher), c’est différent, on ne sait jamais sur quel pied danser. Et puis tant mieux, car il vaut mieux avoir des clients fiables et qui savent ce qu’ils veulent. Un mardi midi, pas de temps pour les indécis. Le halal, maintenant la viande de cheval, selon le boucher, on s’en serait bien passé, ça fait du mal à la profession.

 

Paris, le 25 mars 2013.