Le tatoueur

par Frédéric Benhaim

De temps en temps, un cri, s’échappant de la boutique, inquiète les passants.

C’est ici qu’on peut faire tracer sur la fleur de sa peau le dragon ou la licorne mythiques ; la rose, et le cœur transpercé, le glaive et le serpent. Du rouge, du noir, le plus souvent les couleurs d’une éruption organique.

Projection des fantasmes de l’individu, le tatouage est une marque d’appartenance. Pour toujours « bad », Marlboro et Blade Runner. Mad Max. Enfin, ça c’était autrefois.

La vitrine donc, expose autour de lettres gothiques sur peau photographiée, des dizaines de dessins et d’idées pour vos corps. Droit au but ! Pas de mannequins. Pas de gants non plus. Autant dire les choses. Les montrer. Dire qui on est ce qu’on fait. C’est ça aussi, le tatouage : une image qui parle de vous et sur vous. Des caractères en tout genre, pas que gothique, d’ailleurs, sur la vitrine, romain, chinois, araméen bientôt (on a encore du mal à maîtriser). Hébreu et arabe ont fait leur arrivée depuis longtemps, mais il faut fournir le dessin. C’est une tendance qui monte, les écritures d’ailleurs.

Tout le matériel est désinfecté, régulièrement. Il y a vingt ans, à ses débuts, le patron, un barbu à boucle d’oreille, qui a su garder un peu de peau apparente, et son assistante, Karine, ont été des novices. Aujourd’hui il y a des normes (Dieu merci !). Il faut faire gaffe.

« J’ai suivi des formations, je connais l’hygiène mieux qu’un médecin. » répète-t-il souvent aux clients, a-t-il déclaré aussi à Tatouage Magazine et au canard local.

L’espace est petit : on ne pénètre de l’autre côté du comptoir de verre, construit en U, qu’au moyen d’une petite porte. Les vitrines montrent encore des dessins. Des couleurs. Des photos qu’on retrouve sur les murs, au-dessus. C’est là qu’on accède à l’arrière,  la salle d’opération. La plupart des gens sont décidés ; ils le prennent bien. Ici, on ne fait que des tatouages, pas de piercing. Le body art polynésien a trouvé ici de grands admirateurs. Le patron suit une formation, et il ira l’an prochain aux Marquises. Suivre les traces de Brel, pas un grand tatoué, mais qui a chanté ces îles, et qu’il admire beaucoup.

On entend Iggy Pop, des groupes obscurs des 70, des 80, qui jouent de la guitare électrique. Ca ne sent pas trop le cuir, ni le sang, mais la bétadine. Au sol, la vieille moquette rouge a été arrachée l’année dernière, et remplacée par un lino bleu gris. On a adopté le look hôpital motard. Bientôt on bossera en blouse. Il n’y aura plus que le piercing, la teinture capillaire et les dragons au cou pour ne pas se tromper. Ca a bien changé. Idem, les gens qu’on voit défiler sur la table. Avant c’était des clients qui nous ressemblaient ; maintenant on voit de tout. Mais vraiment de tout. On se croirait en Polynésie : le tatouage est devenu un habit, pour tout un chacun, de la tête au pied, et du pied à la fesse.