Le dépôt-vente vestimentaire

par Frédéric Benhaim

Chanel, Lagerfeld, Hermès… C’est ici que le monde de la récupe et le culte des marques se sont croisés. Avant, nous étions l’avant poste de la récupération ; mais maintenant, avec les vide-dressing, les sites de vente en ligne, etc., on n’est plus seul. Seulement voilà, quand il s’agit d’avoir un lieu physique… il n’y a que celui-ci. On ne se croise pas sur le site. On ne peut pas toujours aller dans un vide-dressing. Mais ici, dans cette boutique à l’enseigne années 20 et à la vitrine brune et or, avec ses trois mannequins et ses sacs à mains et colliers, vous pouvez venir quand vous voulez. Une petite clochette retentit à l’entrée et avertit la patronne de votre passage. Même si vous ne voulez qu’essayer, ou regarder, ce n’est pas grave, on est commerçant à l’extrême. Ca négocie un peu, mais pas au-delà des marges, car vous comprenez, il faut bien vivre. Mais on comprend que pour certaines dames, faire une affaire est une question d’honneur plus que de sous, et on s’en accomode par avance. Lorsque vous entrez, il y a face à vous un petit bureau de bois, sur lequel trône un petit ordi portable relié à deux haut-parleurs qui diffusent des musiques agréables, sympa, mais pas bruyantes. A droite une cafetière et quelques tasses, des petits gâteaux, et parfois, des Quality Street. Il y a un diffuseur de parfums aussi, enfin, d’huiles essentielles : thym, romarin, lavande. Tout autour, c’est le royaume de la sape. Des sacs Dior d’autrefois, des crocos… Des manteaux, des tailleurs, des chaussures sous les portants qui portent les tailleurs. Des chaussures à talon, des baskets un peu chic.

Vous savez, la taille n’est pas un problème. Ici on n’est pas chez Abermachin. Dites-moi ce qu’il vous faut et je chercherai. Même en 46 ? Oui, pas de souci, tout se trouve.

Du coup la dame n’achète plus neuf.

Le sol est un vieux parquet rayé de partout mais ça ajoute du charme ; il faut un peu de désuet ; il faut de l’ancienneté, car ici on vend de l’ancien. Au rythme ou va le monde, un peu plus de recyclage et de même de vétusteté, ça ne fait de mal à personne. Madame est toujours habillée avec sa propre marchandise ; vous comprenez, il faut en faire la promotion et en même temps il faut être élégante. Mais il y en a pour toutes, vraiment : garçonnes, grandes dames, décontractées, sportives. C’est important, chacun son style et pas de jugement ; de toute façon, on en change toutes un jour ou l’autre. Un fauteuil est situé à côté du miroir, lui-même installé à côté de la cabine d’essayage, pour calmer l’impatience des personnes qui accompagnent. J’ai des crayons de couleur et du papier, et deux trois jeux de société, pour les enfants qu’on ne peut tenir. Par contre, les chiens, c’est toujours limite. Même les Chihuahua.

On voit des gens de partout ici ; une fois, une dame d’Australie est venue et m’a invitée à aller la voir là-bas. Oh, j’aimerais bien, mais qui garderait le magasin…

 

Paris, le 16 août 2014.

Aux femmes de ma famille qui se reconnaîtront dans cette histoire.