Le magasin de parapluies

« Parapluies et cannes, oui. Mais oui, passez à l’heure que vous voulez, Monsieur ! »

C’est ainsi qu’on reçoit ici, dans ce magasin, au téléphone, avant même que l’on vienne. Tout pour le client, c’est ce qu’on aime à dire. Les objets que l’on commercialise ici sont importants : les cannes servent à nombre de personnes infirmes ou temporairement ou de façon permanente, et pour cela, il faut être prêt à faire des efforts, car leur démarche est rendue difficile par la gêne qu’ils éprouvent à marcher. D’autre part, on se plaît à dire, dans ce décor dix-neuvième, derrière les vitrines gravées en lettres dorées à la manière d’autrefois, que l’on est dans un temple du luxe, mais d’un luxe subtil et élégant, presque caché.

Tant mieux pour nous, ronronne dans sa barbe le client ou le patron lui-même, en se caressant le bout des moustaches, et une barbiche qui paraît sortir de Balzac. Les cannes sont protéiformes ; elles sont couronnées de têtes de chien ou de chat, de cerf, généralement d’animaux masculins car pour une raison obscure on assimile la canne à l’homme là où les femmes en portent aussi. Tous ces bâtons sont regroupés, debout et en faisceaux, sur des présentoirs à droite et à gauche du magasin, qui est un vaste couloir en L, où l’on entre et où l’on déambule avant de tourner à droite, et de faire face à un comptoir où l’on peut se mirer dans la glace pendue au mur. Les miroirs sont partout, de toutes parts, sur presque tous les murs, et à hauteur de pied déjà jusqu’au plafond ; ainsi, on peut s’admirer, contempler sa démarche auguste.

Ailleurs, mais pas en un endroit précis ; un peu partout, à vrai dire : on trouve les parapluies. Avec les têtes d’animaux, ils forment des totems habillés, de petites colonnes, habillées façon Christo. On trouve aussi des pierres, des cristaux, des boules, au bout des anses. Les robes des parapluies rassemblées sont comme un étal de soieries : du rouge bordeaux et du vert foncé le plus élégant à des motifs à pois roses, voire à cœurs. Des fleurs de lys pour les plus ultra. Le tout se dispense mais ne s’essaie pas. On n’ouvre rien dans la boutique, c’est un principe ancien et cela porte malheur. On vend, en revanche, plein de tailles différentes, et l’on est indulgent avec les clients qui veulent essayer sur le trottoir ; personne n’est jamais parti sans payer. De toute façon, remarque-t-on au fil des années, le décor opère une sorte d’antisélection et filtre les bons parmi les passants. Et puis, on a nombre de clients fidèles, qui reviennent depuis des années, et qui initient leurs enfants, lesquels reviennent encore éprouver les lates anciennes et souvent cirées du plancher de bois, couleur dorée, comme tout ce qui se trouve ici ; que ce soit le bronze, le bois ou encore les différents éléments de décoration que l’on a gardé au fil du temps. Quelques parasols beige, blanc et pastels, rarement vendus mais jolis comme tout, en bois et en dentelle, rappellent le passage des années et tentent les nostalgiques.

Le changement climatique, les étés pourris ; c’est bon pour les affaires ! plaisante le vendeur-en-chef avec le patron, car on est de plus en plus mouillé.

 

Paris le 24 août 2014.