Au magasin de réglisses
par Frédéric Benhaim
Cent-cinquante pots en verre sont disposés sur trois murs qui cernent la pièce. Dedans le noir prédomine avec des couleurs vives, du rose, du bleu, du vert. Les petits berlingots de toutes les couleurs complètent le tableau chromatique, on croirait la rencontre des Impressionnistes et d’un conte de fées. Les murs sont bleus ; la vitrine est bleue et d’ailleurs on n’y voit que quelques spécimens, des boîtes métalliques contenant des pastilles de réglisse de tous les pays et quelques bâtons. Cela suffit à évoquer l’enfance, les voyages en auto d’autrefois, et l’ancienne publicité qui a pris valeur d’antiquité, de rare artefact. Ça, on le trouvera aussi du côté gauche de la boutique, là où d’autres étagères proposent de bâtons à mâcher, des pastilles de toute sorte…
Le pays de la réglisse, c’est la Suède ! Ah, vous ne le saviez pas ? C’est un pays où l’on consomme même la réglisse salée, ce qui est peu coutumier en France, mais si caractéristique du nord de l’Europe. La réglisse salée a un goût de pêché originel (vraiment, un bonbon salé ?). Elle a quelque chose d’archaïque. Elle est une invention du Moyen Age, assurément ; d’une période où épices se configuraient dans une cuisine aux accents acides et pointus. Nous avons tout domestiqué, avec notre sucre dix-huitième, importé des Îles à sucre, teinté en rose Pompadour du sang des esclaves. Mais ailleurs on consomme encore comme s’il n’y avait pas eu de dix-huitième siècle. D’Allemagne aussi, on a invité des lakritz en paquets blancs sous forme de gomme ou de pastille. Et il y a les inévitables sucettes, rouleaux, gommes, barres, et même de petits gâteaux à base de réglisse. Tout ça c’est à gauche en entrant. Au milieu de la pièce, d’anciennes balances pour peser son trésor. On paiera à la caisse, qui est au fond de la pièce, en riant de sa propre gourmandise, certains diraient accoutumance. Dans la vitrine (petit oubli), et sur une étagère, de petits livres : RÉGLISSE. Histoire de la réglisse en trois tomes. Etc.
Ainsi derrière la vieille porte se déploie un monde au parfum d’anis et de poivre ( goûtez ceux-ci, fourrés au poivre…), un monde où la confiserie violette, jaune et rose entre dans le noir monde de l’ébène, et où le sucre d’orge touche à l’au-delà de l’amer… Le Styx du bonbon, c’est ici.
Berlin, le 9 juin 2014
A mes amis berlinois.