Le magasin d’emballages
par Frédéric Benhaim
La boutique aurait besoin d’un coup de neuf, c’est vrai ; l’enseigne est correcte et récente, ainsi que les couleurs de la devanture, mais à l’intérieur, les murs sont jaunis par la clope du patron et le passage du temps, l’humidité et l’haleine des clients. Ils sont patrons de petit commerce, marchands ambulants, ou parfois experts venus de cabinets de style etc. Ils vendent de tout, et en tout cas, ils ont besoin d’emballer.
Il faut dire qu’on ne voit pas trop les murs, dans ce capharnaüm. Il y a des rubans, des papiers cadeaux en tout genre, du scotch, tout le nécessaire pour les fêtes, posés juste derrière la vitrine et à droite de l’entrée. En cette saison il faut aller droit à l’essentiel ; on fait une promo printanière sur tous ces articles pour valoriser ceux qui achètent en avance. (« Certes, vous faites du stock, mais sur le long terme, vous économisez, et c’est ça qui est important… »). Et puis, cela permet de repérer les tendances, adulte comme enfant, dont l’emballage est le fidèle reflet. Au fond, c’est le royaume du plastique, que seul le bureau du patron semble retenir du bout de ses forces. Il y a un semblant de rangement, mais comme chez tous les grossistes (on fait très peu de détail), il y a du gros, et qui dit gros, dit volumineux, et qui dit volumineux, dit que vous aurez beau être la personne la plus maniaque du monde… A gauche, c’est le royaume du carton. On trouve des boîtes de toutes les tailles, de plusieurs couleurs.
A quoi servent tous ces emballages ? A décorer, à informer, à protéger. On doit être disert en son métier si on veut réussir. Si on se pose toutes ces questions, croit-on en ce lieu, on saura choisir pour ceux et celles qui n’ont justement pas de temps à consacrer à ça, qui viennent ici entre deux, quatre ou six courses, et que le temps semble retenir par sa course folle. Devant l’entrée, c’est d’ailleurs une guerre sans merci pour la place de stationnement. Quelquefois on dispose des cônes oranges pour éviter qu’elle parte trop vite. Il y a quelques traces de jaune et cela permet de réclamer sa libération séance tenante lorsqu’il le faut.
Mais revenons à l’entreprise. Aux yeux du propriétaire, c’est une œuvre spirituelle : le temple de l’enrobage ; il y a même des livres d’origami ; rendez-vous compte de ce qu’on peut faire : l’emballage, c’est une matière noble ! Quand les clients ou les passants ont le temps, on parle longtemps de tout ça, et de tout ce que l’emballage peut faire à un présent. L’habit fait le moine, en quelque sorte, ou bien, il le sublime. On aime recevoir et présenter les nouveautés, aussi ; ça n’arrête pas ! De découverte en découverte, toutes ces années de métier ont conduit ce commerçant à fréquenter les musées, à se passionner pour le Japon ou la France des dix-huitième et dix-neuvième, qui savait si bien emballer.
On pourra vous dire que l’emballage n’est pas écologique, et qu’un jour on reviendra tous au vrac. Mais on vous répond ici qu’on verra bien, que l’eau coule sous les ponts, et que de toute façon, « on pourra toujours faire de la consigne ».
Rio de Janeiro, le 4 mai 2014.