Le magasin de casques
par Frédéric Benhaim
C’est évident maintenant, mais à une époque ça ne l’était pas : il faut se protéger la tête et c’est obligatoire. Finie la Dolce Vita tête nue, les cheveux au vent de Bardot et la jeunesse insouciante et dangereusement virevolante. Mais cela peut être joli ainsi.
Ils sont de toutes couleurs, mais on retient surtout le rouge, car le rouge, cela colle avec l’esprit de la moto : rébellion et liberté ! A peu de frais mais à prix élevés. Qu’en reste-t-il chez le Parisien pressé ? Le petit Concorde quotidien des hommes d’affaires pressés, alternative à la voiture engluée dans les bouchons, moins chère que le taxi, moins populaire et bondée que les transports, a peu à voir avec la Harley Davidson de la légende et de la chanson. (D’ailleurs, les médecins la chevauchent en vacances dans le Dakota, il y a un chemin entre ça et la marginalité ! Où sont nos valeurs ?)
Paris en est pleine, de ces motos à trois roues, et Bardot est d’extrême droite. Oui vraiment ce n’est plus ce qu’on croyait. Alors le casque rouge, ou la Ducati rouge, vous voyez, c’est comme une affiche du Che, c’est du décor, voire du folklore, et à vrai dire, c’est plus le rouge du drapeau suisse et de la combinaison de Schumacher que de la Commune ; au mieux, c’est un artefact chromatique. Mais tout ça n’a rien à faire ici, revenons à notre vitrine, composée de casiers où sont entreposés de beaux casques. Essayez à l’intérieur, les casques multiples : à visière, plus ou moins molletonné, et toujours plus technologique. Vous n’avez jamais entendu ces motards parler au téléphone ? Oui, on s’accomode, mais attention à la sécurité ; un motard n’a pas d’habitacle. Sauver une vie, mais au-delà, quand on ne voit pas votre tête, on ne voit que votre casque, alors, voyez-vous, un casque, c’est un peu vous. Choisissez bien.
La clientèle est très variée : il y a les passionnés, il y a les grosses cylindrées, et il y a la population des actifs pressés, qui va vers le prix. Des genres différents. Une forme de culture commune, mais au fond pour ce passionné qui tient la boutique, on a gagné en chiffre d’affaires ce qu’on a perdu en âme, et pour quelques amoureux du scooter à l’italienne, il y a surtout trop peu de grands de la route. Les virées en Normandie, les weekend en Bretagne, à essayer des modèles, voilà le trip. Voilà qui est beau.
Paris le 23 mars 2014.
A Denis Haller, et à la moto que je n’ai pas voulu avoir.
Au Nevada, comme ça.