Le supermarché asiatique

par Frédéric Benhaim

Au supermarché traditionnel, il y a quelques marques célèbres qui proposent depuis vingt ans les produits d’Asie : sauce soja, nems, ou chips de crevettes. Mais dans l’ensemble, cela reste pauvre et la qualité n’est pas au rendez-vous. Les connaisseurs viennent au supermarché astiatique. Asiatique, vous savez, cela ne veut rien dire… Aucun rapport entre la Turquie et le Japon. Mais on appelle ça asiatique, et on parle d’Extrême-Orient, et ça nous parle à nous, vu d’ici.

Au supermarché asiatique, donc, vous trouverez tout ce qu’il faut en fruits, sauces, desserts curieux. Commençons par le dessert justement : lait de coco, riz, taro, tapioca, herbes vert vif ! Haricot rouge, haricot mungo ; les légumes et les féculents les plus banals se transforment en délices ! Un peu comme notre pain perdu qui devient un plat sucré. Tout ça est conservé dans un frigo ouvert, où chacun peut se servir, et provient d’une fabrication ostensiblement artisanale, ce qui rassure certains clients et en effraie d’autres. Allez-vous vous essayer à goûter le dessert vert vif trempé dans le lait de coco ? Oserez-vous étonner les convives de ce dîner chez des gens un peu traditionnels ? Les plus audacieux feront le pas sans hésiter pour surprendre éduquer et provoquer.

Les fruits viennent de loin mais ils sont beaux à voir ; il y a quelque chose de dépaysant, comme un morceau de chaleur et de Tropiques, dans une mangue qui traîne sur une avenue en décembre. A se demander pourquoi les cafetiers ne décorent pas leurs tables d’ananas au lieu de les chauffer au gaz. Les pommes, poires, oranges, tout ce que vous croyez connaître et dont vous ne savez que la version espagnole sont toutes différentes. Venir ici c’est voir qu’ailleurs, on ne fait pas comme ici…

A l’intérieur, c’est propre, mais ça sent plus fort que chez X-marché ou Y-four. En fait, ça sent tout autant chez Super-V ou T-Mart, mais pour vous, le fromage, c’est normal, et ici, l’odeur du poisson, c’est normal. D’horribles néons éclairent tout d’une lumière froide de réfrigérateur. Supermarché oblige. Les carrelages au sol sont beiges. Supermarché oblige. Et comme dans le hard discount, vous avez le sentiment qu’entre le hangar et le lieu de vente, il n’y a jamais vraiment eu de transition. Qu’importe, car vous vous promenez avec votre panier, et avec lui, vous êtes en voyage.

Difficile, au début, de tout explorer. C’est comme dans une librairie : il y a trop à voir, ça finit par donner le tournis. Tout un rayon est consacré à des conserves qui proposent de merveilleuses choses à base de tofu et soja : fausse viande, tofu en sauce huileuse, tofu en sauce piquante, tofu en sauce salée, et le tout peut accompagner légumes ou viande, selon que vous soyez végétarien ou simplement amateur. Juste après, il ya les alcools : alcools de riz , bières chinoises, thaïes, japonaises, et puis des bouteilles aux colorations plus ou moins réussies : alcool de letchi, par exemple. Souvent le packaging est banal, mais les images, les caractères, les produits évoqués perdent le consommateur européen en un choix simple : t’essaies, t’essaies pas. Si c’est vendu, et si quelqu’un en mange, c’est que ça doit pouvoir se manger, s’est dit l’un ou l’autre des clients peu habitués un jour ou l’autre. On les reconnaît parmi les clients de tous les jours, qui conversent avec les dames à la caisse. Ils et elles prennent leur denrée comme vous et moi à la boulangerie ; sans façon. L’objet de l’attention n’est plus l’achat. Pour le curieux, il n’en est pas ainsi, et sa façon peu assurée de tenir ses achats, de les porter, et même de les poser sur le tapis et de les emballer lui donne un air puceau, comme quelqu’un qui irait au magasin pour la première fois. Imaginez l’impression ! t’es jamais venu dans une superette ou quoi ? — Je n’ai jamais vu ça…

Paris le 23 novembre 2013

Aux autres petits-fils d’Elie, en particulier Jérémie Bouaziz et Yoram Elkaïm.