La librairie engagée

par Frédéric Benhaim

 

            Des luttes des années 60, 70, et avant, et après, il reste des livres, et des souvenirs. Ici, le tout se mêle à du papier à cigarette sur fond d’espoir. La boutique est structurée comme suit : en vitrine, des thèmes : en ce moment, c’est l’Afrique, la Françafrique. Dans la boutique, on vend plus que du livre : de l’enregistrement audio (CD), des DVD (le documentaire sur Lumumba, tiens), des cartes postales, quelques affiches, des marque-pages, des livres pour les enfants (une approche qualitative). Et évidemment les ouvrages politiques : romans, littérature engagée, biographies, autobiographies. Mémoires et recueils. Remémoration. Il y a des responsables socialistes que vous avez peut-être oublié, mais sans qui vous n’auriez pas vos petits avantages d’Européen de l’Ouest : congés payés, semaine de travail limitée, protection contre la maladie… Il y a des responsables révolutionnaires des pays andins à qui on doit beaucoup ; avec le recul, c’était dommage de s’occuper autant de Mao.

C’est une curieuse chose que d’être une librairie engagée au 21e siècle. L’information n’est plus qu’ici :  à une époque, hors des librairies engagées, pour savoir quelque chose sur Trotski, César Chavez ou Rosa Luxembourg, point de salut. Mais maintenant tout ça est sur wikipedia, enfin pour les âmes qui se contentent de peu. Quel est l’intérêt ? On se vit comme un petit phare dans une brume de pensée unique ; une bougie tenace dans la pénombre grise. Politiquement, c’est devenu difficile de se situer : entre le Front de gauche, les écologistes critiques et la gauche alternative. Mais à mesure que les années passent ça se destructure. Quelques moments d’intérêt, comme Bové en 2007. Et pourtant ce n’est pas la pensée qui manque. Il y a tant d’intellectuels ! tant de livres qui s’écrivent ! tant de richesse à partager !

Librairie engagée, la librairie est aussi une librairie de quartier. En pénétrant, vous constaterez qu’on a gardé le carrelage beige et couleurs années 70. La caisse est un bureau sur la gauche, toujours surchargé, avec en plus des piles de livres, le terminal CB, un ordinateur avec un tableur grand ouvert (pour retrouver les clients, les numéros de cartes de fidélité, les coupures de presse…). Il y a peu de rayons ; deux sections, littérature à gauche, le reste à droite. Beaucoup d’ouvrages récents, quelques anciennes rééditions, une petite section où l’on vend quelques livres en seconde main, mais vraiment des choses qu’on a du mal à trouver ailleurs. Il y a quelques années, la maison a frôlé la mort, mais maintenant ça tient à peu près, bon an mal an, avec les différentes clientèles. L’avenir de la profession, personne ne le dira ; on continue. Il paraît qu’aux Etats-Unis les chaînes sont mortes et les indépendants sont restés, moins nombreux, et ça fournit une note d’espoir, car après tout si ça se passe en Amérique, dans quelques années, ici…

Paris, le 9 décembre 2013.

Note spéciale de l’auteur : je n’ai pas soutenu Bové en 2007, c’est de la littérature ! 😉