La confiserie
par Frédéric Benhaim
Les bonbons scintillent au soleil comme de petits bijoux. Ils ressemblent à des fruits cueillis dans un fourneau à sucres d’orge. Ca sent une odeur acidulée lourdement embaumée de fruits. La vitrine n’expose pas grand-chose, juste l’intérieur de la boutique. Elle est organisée ainsi : sur votre droite, sur votre gauche, des bonbons en vrac, consignés dans des bacs transparents, comme un meuble d’apothicaire moderne, avec des spatules métalliques pour le service. Au fond, près de la caisse, une grande table avec un peu de vrac, des chocolats, des bonbons de grande dimension : sucettes, figurines en sucre d’orge et en chocolat, réglisses, caramels divers. Cible régulière des dentistes et mères vigilantes du quartier, le magasin tient bon. Les patrons, tels des patrons de bordel ou des banquiers suisses, veillent à la confidentialité des transactions, à l’intimité des échanges, au secret des visites. Chaque année, des millions d’argent liquide, de l’argent de poche des enfants, est dépensé dans de tels établissements, dans le plus grand secret. Le mineur qui vient ici sans escorte, ou avec ses amis, ne sera jamais dénoncé ; croisant en la compagnie de ses parents l’un des gardiens de ce temple du plaisir, il aura simplement droit à un clin d’œil complice…
Des adultes clients, on distingue les passionnés d’une friandise particulière (le chocolat, la réglisse, voire les crocodiles, les œufs, ou la catégorie très spéciale des acidulés) ; les accros ; les stressés ; les transgressifs ; les coupables ; les libérés ; les curieux, qui n’achètent rien ; les copines pour l’enterrement de vie de jeune fille (on tient un bon stock de Carambar) ; les gens d’affaires en tailleur—costume, un peu las de leur journée.
Hansel et Gretel s’y seraient assurément perdus ; mais ici, les patrons sont un gentil couple de la mi-quarantaine, qui aiment recréer ici l’ambiance magique des maisons de sucre. Savez-vous qu’en Amérique, on fait faire des maisons en pain d’épice et en bonbons aux écoliers ? Façon d’en faire des bâtisseurs de pyramides. La musique qu’ils passent s’étend de la variété française à un peu de jazz et de classique. Ils vivent pas loin, dans un appartement décoré de manière moderne et chaleureuse. Comme chez eux, le parquet est de bois clair, et le mur est jaune clair, car dans un magasin de bonbons, il faut des couleurs gaies, on est comme au cirque, comme au zoo, comme dans un rêve d’enfance ou une remémoration : la maison de la grand-mère, les longs étés d’autrefois, les champs de blés et les cachettes. Les bonbons ? Ils les aiment, mais n’en mangent pas plus que ça. Vous savez les barmen ne sont pas tous alcooliques…
On achète au gros, mais on privilégie aussi l’artisanat : caramels bretons, et de Guérande ; la tradition française : bêtises de Cambrai ; voire les bonbons moins « faciles », comme le chocolat au Roquefort ou aux fleurs bio. Il manque quelques choses : les bonbons américains (les Hershey’s, les Reese’s…), et les réglisse suédois salés, si terriblement salés, mais vous savez, à Paris, il y a une boutique pour cela. Ici, nous sommes des généralistes de la sucrerie ; ailleurs, vous trouverez des spécialisations en toutes sortes. Le diable est dans le détail ; le succès est dans la différenciation. A Villé, dans les Vosges alsaciennes, il y a même une maison du pain d’épice.
Au final, ici ça marche d’autant mieux que la crise frappe. Une personne est entrée un jour en habits de travail après avoir été licenciée. Si on pouvait conserver les bonbons sans être tenté de les manger, ce serait sûrement une valeur refuge pour les épargnants, comme l’or ou la pierre. Et comme l’or et les pierreries, cela pourrait s’emporter en pleine fuite.
Paris, le 9 juin 2013.
A Roald Dahl, pour la confiserie de la vieille.