La parfumerie
par Frédéric Benhaim
D’ici, on voit très bien en contre-bas, à travers la vitrine, qui circule sur le trottoir, dehors. On peut commenter à souhait. Les odeurs diverses enivrent les sens…au début. A la longue, elles donnent mal à la tête. Cent cinquante parfums, autant de déodorants, de poudres et de cosmétiques en toute sorte, tous plus toxiques les uns que les autres, se côtoient ici. Mais pour la maîtresse des lieux, l’hôtesse de nos enquêtes arômatiques, cette Salambôo de la vie locale, prêtresse du goût et vestale du Bon Sentir, cet endroit est le rêve d’une vie.
Images de publicité, regards profonds d’un mannequin homme ou femme, retouchés pour y montrer le ciel, rouge à lèvres en rangée successive comme une armée, comme les dents d’un requin, bon goût, séduction, beauté invoquée et beauté reproduite… elle a dans ce local construit sa propre marque, avant de devenir, l’an passé, franchisée. Les tons pastel personnels ont cédé le pas au code couleur maison. Moins de fait main et plus de prospectus papier, produit et expédié par la chaîne. Mais au fond, la boutique est restée la même. Derrière son comptoir où brûle un bâton d’encens (comme si ça ne suffisait pas), série limitée, créateur, la conseillère aux mille parfums vous ausculte : peau qui garde ? peau blonde ? peau brune ? pour un parfum, toutes les peaux ne se valent pas. Il y a les peaux à problèmes, il y a les peaux à santal et les peaux à citron ; à ambre et à jasmin.
Oui, certes, les parfums synthétiques ont brouillé les pistes. L’alchimie a rompu devant les assauts de la chimie. Greenpeace critique. Une employée a démissionné, parce qu’elle toussait. Mais c’est le conseil, le conseil qui fait toute la valeur du lieu, sinon il y a internet, le duty free, et la contre-façon : ici c’est plus cher, mais les clientes reviennent.
Elles (ils ?) reviennent car elles savent que Madame sait ce que veut leur peau. Madame sait dénicher cette odeur qui mystérieusement les rendra belles. Enigmatique, Madame sait la couleur qui épouse leurs yeux, qui épouse leurs cils, elle sait comment faire d’elles la plus belle des mariées (d’ailleurs on en parle encore, il n’y a qu’à voir la vidéo). La plus belle pour aller danser, etc.
En pause déjeuner, quelquefois, elle reste ouverte pour les copines qui viennent entre deux chercher des échantillons et dire du mal des collègues, des patrons, raconter leurs déboires, le boulot et les petites haines du travail.
Bien sûr il y a les adolescentes ; elle ne dit mot aux mères quand elle voit leurs filles revenir essayer le rouge en cachette. De toute façon, même si le string n’est plus à la mode, de nos jours, on ne cache rien aux jeunes.
Pour se tenir au courant, elle monte à Paris, une fois par mois, faire ses achats, voir les nouveautés. Et bien sûr, maintenant, aller au siège. Le TGV, c’est pratique, mais que de retards ; l’avion avait son charme. Rendez-vous : le Marais, Saint Germain des Prés. Voir les grandes maisons. Les cafés, les librairies, le style. Flâner dans les restaurants place de la République, et en rapporter ses observations. Non, tout ne se lit pas, ne se sait pas dans les magazines. Les journalistes gardent des choses pour elles.
Ah, et il y a les crèmes. Crème de jour, crème de nuit, crème jeunesse, extrême, crème anti-rides. Toutes les marques s’y mettent. Tant de crèmes : il faut faire son choix avec discernement, car on n’arrête pas la recherche.
Paris, le 2 septembre 2012.