Le sex shop
par Frédéric Benhaim
Près de la gare, une petite rue sale et sombre abrite le sex-shop de la ville. Loin des écoles et des regards, les clients vont et viennent, sans avoir à afficher leurs petits vices. La vitrine, après quelques plaintes de voisins offusqués, ne montre plus qu’un rideau noir auquel les lettres de néon rouge « X » donnent presque plus d’attrait que quelques sous-vêtements coquins. Le pas de la porte est sale, et malgré plusieurs passages, les adolescents ne pourront apercevoir d’images à l’intérieur, car la porte est en vitre réfléchissante. Qui veut voir se pourra regarder.
Dedans, fantaisie et variété ; tout ce que l’esprit humain peut concevoir de cochonnerie. Films en tous genres, jouets inventifs, faits de plastique ou de métal. Quelques éléments ne manquent jamais de choquer même les plus habitués. Qui pourrait se faire … à cet endroit-là ? Mais, cela doit faire mal, tout de même, se demande le couple en quête de frissons.
C’est ici aussi que les continents différents de la sexualité humaine se rencontrent. Les « libres », les adultérins, les coquins, les obsédés, les couples et les vieux garçons. Les vieilles filles. Les lesbiennes dégoûtées rapidement (ce n’est que du fantasme d’hétéro). Les homos solitaires (ne viennent pas en couple, dans cette boutique).
Tant de couleur et de goûts différents. Fraise, chocolat, et dernièrement vanille passion. Tant de pays de fabrication. Tant de nationalités, de couleurs, d’ethnies sur les couvertures. Il y a les modes. En ce moment, c’est l’Asie. L’Asie éternelle. Celle des rizières et des samouraïs.
On loue, on achète, et parfois, on revend, moyennant inspection. Les plus folles suppositions ont couru sur le marché de la seconde main. Certains apprécient.
C’est un petit magasin, rien à voir avec ce qu’on peut trouver ailleurs. Il y a beaucoup de choix, mais avec plus de place, tout le monde y trouverait son compte. C’est sûr. Mais il ne manque jamais de personnes pour se plaindre, et internet a fait beaucoup de mal à la profession, notamment pour tous les honteux. Restent les courageux et ceux pour qui le magasin de sexe c’est comme la boulangerie.
Le patron du sex-shop est apprécié de ses voisins. Il préside l’association des parents d’élèves de son quartier. Il dit d’ailleurs n’avoir pas manqué le tournant féministe.
On envisage de demander un nouveau terrain de jeu à la Mairie. C’est quelqu’un de respectable—et de craint—.