Le fleuriste hollandais

Rien n’est écrit sur la vitrine, car les fleurs abondantes parlent d’elles-mêmes. Le propriétaire est hollandais.

Natif de Breda, il s’est installé dans la rue il y a près de vingt ans. A l’époque, on regardait suspicieusement ce fleuriste excentrique qui mélange les roses et les tulipes. Lors de la commémoration de la Libération, il a accroché une gerbe bleu, blanc, rouge à la porte, et a pendu un drapeau de la paix aux fenêtres—était-ce bien cela—? La rue pavée lui sert à faire pousser des marguerites dans le caniveau. Il est le seul à pouvoir le faire.

A l’intérieur, il fait humide, et les dames d’un certain âge n’aiment pas rester ; alors comme elles aiment ses arrangements elles s’empressent de faire leurs emplettes décoratives et de s’en aller. Il ne s’en porte pas plus mal car leurs caniches font pipi sur les pots, et leur conversation est terrible.

Aux enfants de l’école toute proche, il enseigne les différentes fleurs par catégorie botanique. C’est un citoyen modèle ; une boutique citoyenne. Les prix aussi sont citoyens. Ils aident leur propriétaire à payer ses impôts à la République. La Hollande a été une République avant la France ; aujourd’hui c’est une monarchie, regrette-t-il, c’est pour cette raison, entre autres, qu’il est venu en France. Le drapeau est le même si on le tourne un peu.

De nouvelles fleurs exotiques font leur apparition : c’est la mondialisation. Jajananias des Guyanes, Oufnouk de Turquie orientale, etc. On vient en prendre pour les balcons. Les jeunes filles plébiscitent toujours les roses qu’elles n’osent s’offrir à elles-mêmes.

De grands sécateurs ornent le plan de travail, avertissement aux enfants, aux imprudents, aux parents, aux vieilles dames, aux voleurs, aux amateurs. Du scotch, du papier pour emballer les bouquets, de l’eau sur le sol en permanence et quelques tuyaux d’arrosage. Lui ne met pas d’autocollant sur les bouquets pour se signaler : il croit plutôt au bouche-à-oreille, et de toute façon, il n’a cure d’une émeute chez lui. Ses clients lui suffisent.

Quelques hommes viennent chaque semaine pour leur boutonnière. Ceux-là reçoivent une fleur spéciale.

En chaque tulipe précieuse, il fait tomber deux trois gouttes d’huile essentielle. A certaines époques de l’année les fleurs n’ont pas d’odeur. On vante le goût exquis de ces fleurs si rares d’un bout à l’autre de la ville. Ici, c’est ici, que l’on trouve les plus belles fleurs. Les plus arômatiques. On pourrait presque les manger.