Le magasin du plongeur

par Frédéric Benhaim

 

Quand point l’hiver c’est dans ce magasin qu’on trouve le dépaysement et la chaleur des îles. En vrai, dans nos contrées, la plongée se pratique dans les mares et les piscines. Ici, on vend de quoi. Des combis, noires, grises, rouges, jaunes, de toutes tailles et des lunettes. Des tubas. Des palmes. Des gants spéciaux, même des harpons. Des barres énergétiques, protéinées. Des appareils photos spéciaux pour aller sous l’eau, de fausses écailles de poisson, des gourdes, de tout, en somme. Tout ce dont vous pourriez rêver pour aller sous l’eau ou en mer.

Ou dans la mare. En tout cas, sous l’eau on oublie tout. On devient poisson ; mammifère aquatique, ce que voulez, on s’en fout, il n’y a que la surface inversée de l’eau en miroir, façon couverture de Nirvana, façon Nevermind (il paraît que le gamin a trente ans), et là-dessous, votre femme ne peut pas vous atteindre, ni votre mari, ni votre ex, ni votre patron, ni votre voisin, votre frère, votre sœur, votre qui que ce soit. C’est l’interdépendance même, diront les langues de bois, l’esprit de solidarité, tout ça… la vérité c’est qu’on vous fout une paix royale et que vous êtes aussi seul avec vous-même, dans le silence et dans l’eau. Là, l’enjeu est d’être en paix avec vous-même. Sinon, restez à la surface.

Dans ma petite liste, j’ai oublié quelques éléments clés. Les bouteilles d’air. LE canapé en tweed qui permet aux autres de s’asseoir, ou aux amatrices – amateurs de tester les palmes. Le look plongeur/plongeuse ? Souvent un piercing au nez pour les femmes, à l’oreille ou au sourcil pour les hommes. Des tatouages bien entendu. Un côté peuple de l’Atlantide. Avez-vous déjà lu Namor ? Le Grand Bleu, alors ? non ? pourtant c’est un film, c’est déjà plus commun. Bien sûr qu’on a des portraits de Cousteau. Faut pas être snob de ce côté-là ; respect pour les grands maîtres. On a besoin d’eux ; cela suscite des vocations, de même que les documentaires océaniques, les documentaires animaliers, les productions Disney filmées dans les bancs de poissons, les projets fous, les Sea Orbiter, les hordes de biologistes marins, d’océanographes, d’océanologues, tous ces gens qui viendront un jour ou l’autre acheter quelque chose dans ce magasin ; un compas ; des lunettes de soleil, ou juste des lunettes de nage. A vrai dire, le sujet de ce commerce est infini, comme l’océan lui-même, sans fin connue, soixante et onze pourcent de la planète Terre et seulement trente mètres carrés de boutique et un peu d’éclairage néon.

 

Paris, le 12 octobre 2014.