La chapellerie
par Frédéric Benhaim
Parce que la mode est un éternel retournement, à l’époque où la provocation et la modernisation semblent peiner à se loger, le chapeau a resurgi. Il n’était jamais parti, me direz-vous : il s’était insidieusement mu en casquette de sport et en bonnet. Voici revenus les casquettes à l’ancienne et les chapeaux ronds des dames ; ça fait fureur à Montmartre ; et d’un look un peu saltimbanque (le haut de forme qui singe l’antique bourgeois), le couvre-chef est passé au dernier chic. Le béret n’a plus rien d’une opération de com’ nostalgique d’éléphant socialiste. C’est même un complément utile face au froid ; la signe d’une loi naturelle de l’habillement, victorieuse toujours : le besoin de se couvrir la tête. Et donc, nous nous la couvrons, et nous ressemblons toujours plus aux années 30 ; pincez-moi si je suis le seul à ne pas apprécier… Comme on aspire, du coup, à retrouver le soleil ! Met-on des chapeaux, dans les émergents ?
En tout cas, la boutique se présente ainsi. Une belle vitrine pleine de bustes masculins et féminins ; des chapeaux anciens, des chapeaux neufs. Une immense rangée de bérets et de casquettes de tradition, et de qualité. Ayez l’air gentleman farmer, chasseur du dimanche, bon père de famille, joueur de pétanque, à peu de frais, et sans prendre le frais sur votre tête bien polie ou bien garnie. A droite, donc, les hommes. Au-dessus de vos têtes, et à gauche, les dames : de magnifiques chapeaux pendent même du plafond comme des oiseaux que l’on aurait attaché à des fils…… A gauche, choisissez parmi les modèles simples à la Coco Chanel (pas de plumes), ou bien, allez plus loin dans la fantaisie : tropical, et même, carnaval brésilien ! Qui oserait la banane et les fruits ?!
S’il est une survivance irrépressible du chapeau en France, elle se trouve dans les mariages, enfin de certains mariages, et c’est pour cela qu’ici aussi vous pouvez pourvoir à vos besoins en vue de ces moments uniques, accommoder la robe, ou même le costume queue de pie que vous n’avez pas manqué de choisir ailleurs. Quelques confrères et consœurs, bons collègues, savent envoyer les clients ici, parce qu’après tout, ils n’ont rien pour se coiffer. Qu’ôterez-vous de votre crâne, ou que garderez-vous au contraire, en entrant dans l’église, ou la synagogue, ou la mosquée, ou le temple… ? Comment marquer son respect ? Comment le cacher des regards d’une ou deux personnes incommodantes ? Comment vous abriter de ce pigeon dont le vol intempestif vous expose aux pires pollutions à la sortie des lieux?
Les bustes qui servent de base aux chapeaux sont en polystyrène ; une matière « merveilleuse », à en juger le patron, artiste à ses heures. Vous en faites ce que vous voulez, et c’est pour ça que parfois il conçoit lui-même ses propres bustes, cubiques, comme des sculptures de César. On l’en complimente ; aussi, il a vendu un ou deux bustes à des dames désireuses de décorer différemment leur cagibi.
Il faut tout de même poser un peu, ou vouloir jouer un peu, ou vraiment tenir à se couvrir, pour venir ici ; aussi, le chapelier s’amuse beaucoup avec sa clientèle, qui a toujours des histoires intéressantes à raconter, et qui parfois lui paraît sortie d’un roman. C’est ainsi qu’il aimerait voir sa boutique, un roman, une jolie vitrine à l’ancienne, où il est écrit Chapeaux, en écriture cursive française classique, avec des fleurs. C’est presque anglais, au fond, presque victorien, mais heureusement, pas tout à fait. En réalité, c’est incommensurablement parisien !
Paris, le 25 novembre 2013.
A T. le chapeau vous va si bien.